Rosa Gonzalez dirige le Foyer Astural - Servette, un lieu d’accueil genevois exclusivement destiné aux filles. Elles sont âgées de quatorze à dix-huit ans et sont momentanément en conflit avec la famille, la scolarité, les règles sociales ou la justice. Rosa a accepté de partager son expérience sur son approche face aux révélations de violences sexuelles.

Le foyer de la Servette n’accueille que des filles, est-ce un choix ?
Depuis 1985, Astural propose ce foyer exclusivement féminin. Il répond au besoin de structure genevoise pour les filles. Leur rythme de développement est différent des garçons et la séparation permet de donner une réponse éducative personnalisée, notamment aux problématiques de violence faites aux filles. La majorité d’entre elles ont vécu une situation de violence: maltraitance, négligences, abus sexuel. Leur souffrance rejaillit sur leurs comportements et rend difficile leur parcours de vie.

Comment faites-vous face à ces maltraitances ?
Nous veillons à créer une ambiance sécurisante. D’abord surprises par la non-mixité, les jeunes filles que nous accueillons disent s’y sentir en paix et pouvoir prendre de la distance par rapport aux enjeux de séduction dans lesquels elles sont souvent prises. Elles peuvent s’exprimer sans se sentir jugées. Notre équipe est spécialement formée à la problématique de la mal- traitance et des violences sexuelles. La sensibilité ainsi développée permet d’instaurer un climat aidant la parole à se libérer.

Quelles directives avez-vous mises en place ?
Nous constatons que les jeunes filles sont souvent comme dans une sorte de brouhaha à leur arrivée. Les préoccupations en lien avec leur sphère intime sont très présentes. Certaines ont de la difficulté à s’occuper de leur corps ou n’ont aucune protection de leur intimité. Nous travaillons à ce qu’elles apprennent à se respecter et à protéger leur sphère privée et intime. Nous échangeons aussi sur la perception de leur image, notamment sur les réseaux sociaux qui sont une grande préoccupation.

Comment accompagnez-vous ces histoires de vie douloureuses ?
Tout d’abord, nous ne gardons pas de secret qui puisse toucher à leur intégrité physique et psychique. Ce type d’information sera traitée avec le service placeur et si possible l’autorité parentale. C’est le mot d’ordre donné à toute l’équipe et aux filles lors de leur admission. Recueillir l’histoire de ces adolescentes provoque évidemment beaucoup d’émotions. Nous cherchons à rester aussi professionnel·le·s que possible et à accueillir leurs témoignages sans dramatiser ni banaliser. L’expérience et la formation continue participent à élever notre niveau de compétence dans ce domaine.

Avez-vous une méthode pour accueillir les dénonciations d’abus ?
Lorsqu’une fille révèle avoir subi des violences ou une agression sexuelle, nous commençons par lui dire que ce type d’acte est grave et interdit par la loi tout en rappelant que nous ne gardons pas secret ce genre d’information. Nous la rassurons en lui affirmant que nous en ferons quelque chose en lien avec le service placeur et qu’elle sera informée de chaque démarche entreprise. Nous lui expliquons que ce qu’elle raconte est punissable par la loi et que nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de cacher un fait susceptible de porter atteinte à son intégrité, voire à sa sécurité. Ces moments sont chargés d’émotions et il s’agit de ne pas générer de traumatisme secondaire en posant des questions qui pourraient amplifier ou au contraire minimiser le vécu de l’adolescente.

Quelle est la suite donnée ?
Le protocole est sans équivoque. L’éducateur·trice qui recueille une déclaration de maltraitance ou d’agression doit prévenir la direction, qui l’annonce à l’autorité de placement ainsi qu’à l’autorité parentale si cela est indiqué. En cas de plainte déposée par le service placeur ou l’autorité parentale, la police convoquera la jeune fille pour enregistrer sa déclaration. S’agissant d’un délit pénalement punissable, une enquête s’engage. Au foyer, nous accompagnons les réactions que ce processus produit chez la jeune fille.

Les filles acceptent-elles de faire une déposition?
La plupart d’entre elles le font. Souvent, elles manifestent d’abord de la peur et hésitent à y aller dans un premier temps. Elles peuvent redouter de ne pas être entendues et de ne pas être crues. Elles peuvent craindre des représailles ou ne pas vouloir revivre une histoire traumatisante enfouie au plus profond d’elles- mêmes. Nous accompagnons leur trajectoire en évitant toute espèce de curiosité et en les tenant informées de l’avancement de la procédure.

Comment gérez-vous les situations de refus de déposer ?
In fine, le choix de déposer ou pas devant la police leur appartient. Personne ne peut les obliger à dire ce qu’elles n’ont pas envie d’exprimer. Notre expérience nous montre que généralement, elles finissent par le faire, mais c’est tout un processus qui se met en place durant lequel elles seront informées de leurs droits, des procédures, elles seront accompagnées, rassurées et orientées par l’équipe éducative vers des espaces de soutien psychologique et/ou juridique.

Avez-vous des retours des filles que vous avez accompagnées ?
Oui. Quelques fois, elles peuvent nous en vouloir de dénoncer des violences. Le temps passant, elles nous remercient de l’avoir fait et de leur avoir ainsi permis de rompre avec des relations destructrices. Dernièrement, une fête a été organisée qui a rassemblé d’anciennes résidentes. Nous avons récolté beaucoup de témoignages très touchants. Une fille par exemple nous a dit avoir trouvé à Astural un cocon qui résistait à ses esclandres. Sans son passage au foyer, elle a eu l’impression qu’elle serait morte, qu’elle aurait explosé.
Propos recueillis par Anne Kleiner

AUTRES ARTICLES EN LIEN AVEC LE THÈME
traités par l’Écho 63, le journal semestriel de La Fontanelle


LES TÉMOIGNAGES