En Suisse, l’usage des médias par les enfants et les jeunes est suivi de près depuis 2010 dans le cadre d’enquêtes confiées à la Haute école spécialisée de Zurich (ZHAW). Dans ce contexte, une étude nommée JAMES pour « Jeunesse, Activités Médias Enquête Suisse » est réalisée tous les deux ans auprès de 1'000 adolescentes et adolescents âgés de douze à dix-neuf ans issus des trois grandes régions linguistiques. Elle met notamment en évidence que si le débat public a encore tendance à distinguer le monde réel du virtuel, la réalité des jeunes est devenue hybride, les deux mondes contribuant désormais à leur développement et à leur socialisation.
L’étude JAMES montre que la presque totalité des foyers suisses sont équipés de téléphones portables, de téléviseurs et d’Internet. Ces équipements participent au développement intellectuel et social des jeunes, leur permettent de rester en contact avec d’autres, sont utiles dans le cadre de leurs formations et sont appréciés pour leurs loisirs. Presque tous les adolescentes et adolescents possèdent un smartphone qui est employé tous les jours. Selon leurs estimations, Internet est utilisé un peu plus de trois heures par jour durant la semaine, et cinq heures par jour durant le week-end. La moitié de ce temps semble être consacrée à de l’information, principalement à travers des moteurs de recherche, mais aussi avec les réseaux sociaux. L’autre moitié est dédiée au divertissement, principalement sur les réseaux sociaux et les portails de vidéos.A l’adolescence, les jeunes développent aussi une curiosité légitime et croissante pour la sexualité, que les médias numériques permettent d’assouvir. Or, un peu plus de la moitié des adolescentes et adolescents interrogés ont été confrontés à des contenus pornographiques inadaptés. La représentation de la violence est identifiée comme le second risque potentiel auquel peuvent être confrontés les jeunes. Le visionnage de contenu violent a augmenté au fil des ans et concerne désormais soixante-cinq pour cent d’entre eux, les garçons étant un peu plus touchés que les filles.
Une différence d’utilisation est observée en fonction du statut socioéconomique. Les jeunes issus de milieux favorisés et confrontés à des exigences de performance scolaire plus élevées consomment de façon plus modérée que celles et ceux issus de familles modestes ou étrangères. L’utilisation des smartphones et autres écrans est laissée au contrôle des parents, qui sont à la fois des guides et des modèles, édictent les directives et les règles à appliquer dans la famille et sont responsables de leur respect. Enfin, l’étude met en évidence une diminution continue de la protection de la sphère privée, conduisant à des expériences négatives telles que le cyberharcèlement et le harcèlement sexuel. Elle alerte sur le vide juridique qui permet à ces activités de se déployer et à la nécessité de mettre en place des mesures de protection de la jeunesse face aux médias.
Haute école spécialisée de Zurich, www.zhaw.ch/de/psychologie/forschung/medienpsychologie/mediennutzung/james/
La Fontanelle a invité Noemi Knobel à animer un atelier de sensibilisation aux écrans, auprès des jeunes accueillis au Foyer Filles et au Foyer Garçons. Éducatrice, formatrice et conférencière, elle s’est spécialisée dans l’étude de la consommation des médias digitaux par les enfants, les adolescent-es ainsi que les adultes. Elle est notamment particulièrement inquiète de la facilité avec laquelle tout un chacun accède à du contenu pornographique indépendamment de l’âge, et des dommages occasionnés, en particulier dans l’enfance et à l’adolescence.
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à ce sujet ?
J’ai pris conscience de l’importance des réseaux sociaux dans la vie des jeunes lors d’un stage d’éducatrice de rue à Marseille. Les effets produits par des commentaires haineux ou dénigrants m’ont particulièrement interpellée et m’ont incitée à mieux appréhender comment les médias digitaux influençaient leur développement.
Peut-on envisager de se passer des écrans ?
Les médias digitaux ont transformé la façon d’accéder à l’information et la manière de communiquer. Les réseaux sociaux ont contribué à humaniser Internet, d’abord perçu comme très technique. Désormais, le smartphone est omniprésent et contribue aussi à rassurer les parents qui en offrent à leurs enfants afin de pouvoir les contacter n’importe où. Si les médias digitaux ont tout un côté extraordinaire, ils ont aussi une face d’ombre qu’il s’agit de gérer. Se passer du numérique est devenu illusoire, même si je recommande de vivre des périodes de déconnexion.
Quelle approche préconisez-vous pour une bonne utilisation des écrans par les jeunes ?
L’adulte doit impérativement encadrer l’usage des médias digitaux, en fixant des règles d’utilisation et en empêchant l’accès à du contenu toxique, tel que la pornographie, la pédophilie ou la zoophilie. Il doit dialoguer et attirer aussi l’attention de son enfant sur le cyberharcèlement dont ce dernier doit être protégé et qui doit être dénoncé. L’exemplarité est une mesure efficace pour lutter contre un emploi abusif. Je déplore par ailleurs l’absence des mesures législatives ou l’insuffisance d’outils – par exemple de reconnaissance faciale pour déterminer l’âge légal permettant de visiter un média - pour aider à mieux gérer.
La Fontanelle a invité des parents d’adolescentes et adolescents à partager leur perception sur l’utilisation des smartphones par leurs enfants à travers un sondage lancé par sa newsletter et les réseaux sociaux. Trente-quatre mères et pères se sont prêtés au jeu, au profil plutôt investi dans le rôle parental. Si la plupart tentent d’établir un dialogue pour discuter de l’utilisation des écrans, voire poser un cadre, beaucoup se sentent démunis face à l’attrait exercé par ces appareils. Certains ont pris l’option d’installer une application de contrôle parental. Un grand nombre relève la difficulté d’accompagner l’usage d’une technologie qui évolue rapidement et dont on n’est pas certain des effets sur le développement humain. Un consensus ne se dégage pas de la part des professionnel-les qui adoptent des positions contraires et le cadre légal est inexistant, ce qui se révèle très désécurisant lorsqu’on porte la responsabilité d’éduquer.
Autres articles sur la même thématique :
- La gestion des écrans, thématique inépuisable
Écho n° 68/Le harcèlement, un phénomène qui nous met en cause !
Écho n° 67/Médias numériques, entre amour et haine
Écho n° 66/La gestion des écrans, thématique inépuisable
Écho n° 65/Genre masculin, qui suis-je en 2022
Écho n° 64/Réflexion sur la masculinité
Écho n° 63/Face à une situation d’abus sexuel
Écho n° 62/20 ans du Foyer filles, partage d’expériences
Écho n° 61/Justice traditionnelle et/ou restaurative
Écho n° 60/L’accueil aux foyers en période Covid
Écho n° 59/Adopter une approche holistique de la santé
Écho n° 58/Alimentation et maladies mentales
Écho n° 57/S’adapter à la génération « moi je »
Écho n° 56/La famille 3.0, point de situation
Écho n° 55/Soutien aux familles en difficulté
Écho n° 54/Cycle de conférences pour le 30e anniversaire de La Fontanelle
Écho n° 53/Partage de connaissances à l’occasion du 30e anniversaire
Écho n° 52/Troubles du comportement et médication
Écho n° 51/S’adapter à la nouvelle génération
Écho n° 50/Mieux comprendre la nouvelle génération
Écho n° 49/Quels rôles jouent les fêtes traditionnelles
Écho n° 48/Les tracas du tabac
Écho n° 47/Les étapes de l’insertion
Écho n° 46/Éducation et psychiatrie
Écho n° 45/Rôle des aventures éducatives
Écho n° 44/Coup de projecteur sur la jeunesse d’hier et de demain
Écho n° 43/La vie aux foyers, témoignages