Laisser faire ou interdire ?
Source d’information, d’échange et de divertissements, Internet a transformé les relations sociales, pour le meilleur et pour le pire. Pour la plupart des gens, naviguer sur des sites, échanger sur des réseaux sociaux et se délasser avec des jeux vidéo est presque devenu une seconde nature. Mais cet univers digital comporte une face sombre, comme des campagnes de désinformation, des plateformes de vente de produits contrefaits ou des images pédophiles et pornographiques sans restriction d’accès. Samuel Morard, Doctorant en sociologie au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève et de Sion, nous présente sa vision sociologique.
Comment se fait-il que l’Internet ne soit pas mieux réglementé ?
Depuis quelques décennies, notre société est marquée par une réelle tension entre liberté et sécurité. L’application de la Convention des droits de l’enfant le démontre bien. D’un côté, nous souhaitons donner la parole à l’enfant, le rendre participatif, le considérer comme un être à part entière, égal à l’adulte et éviter au maximum une restriction de sa liberté, de penser et d’agir. De l’autre, nous voulons lui assurer une protection et couvrir ses besoins d’être accompagné, encadré, voire cadré. Des luttes partisanes se livrent en faveur de l’un ou l’autre axe. Dans le domaine numérique, l’État – mis en place par notre système démocratique – se refuse à être trop interventionniste dans le champ privé de la famille, légifère au minimum et a tendance à renvoyer la responsabilité éducative aux parents. Ceux-ci préservent leur indépendance dans ce domaine avec pour conséquence de devoir assumer les effets de leurs choix et de leurs approches. De nombreux programmes préventifs sont cependant financés par la collectivité publique, pour conseiller et attirer l’attention sur les risques, mais sans imposer de mesures trop restrictives, car cela reviendrait à réduire leur liberté d’agir.
N’y-a-t-il donc pas d’inquiétude face aux dangers qui menacent les mineurs sur Internet ?
Cette question part du présupposé que l’enfant a besoin d’être protégé et fait opposition à celui qui présume qu’il a la capacité à s’adapter. Nous traversons une époque de transition où la liberté d’agir et de penser est perçue comme faisant partie d’un courant progressiste plus acceptable que celui qui imposerait des mesures sécuritaires pouvant être assimilées à un retour en arrière. Dans le contexte d’un accès facilité à du contenu pornographique sur Internet, la majorité des adultes reconnait que l'exposition précoce à certaines images est néfaste pour le développement psycho-affectif de l'enfant. L’État se refuse cependant à légiférer de manière péremptoire pour ne pas porter atteinte à l’autonomie familiale. Les programmes de prévention mettent en garde et invitent les parents à surveiller avec bienveillance, dans le lien et la proximité relationnelle plutôt qu’en posant des interdits. La même démarche est appliquée aux GAFAM, les puissantes entreprises spécialisées dans l’économie numérique ; les États néolibéraux leur ont demandé d’aménager des garde-fous tout en leur rappelant leurs responsabilités en cas de dommage, mais sans leur imposer de réglementation.
Que recommander pour mieux accompagner ?
Dans les années 1970, des travaux du sociologue Zygmunt Bauman ont entre autres montré que la liberté doit être fondée sur un socle de sécurité pour devenir un sentiment plaisant, alors qu'une liberté débridée ne permet pas aux individus de réaliser leur autonomie, mais les plonge plutôt dans un abîme d’insécurité. Ce nécessaire compromis entre sécurité et liberté est contraire à la vision libertaire postmoderne qui renvoie la responsabilité des échecs aux parents ou aux enfants eux-mêmes. Dans le cadre des programmes de prévention mis en place, j’invite donc à surveiller les attentes éducatives sous-jacentes vis-à-vis du rôle des parents que bon nombre ne parviennent pas à honorer. Plus globalement, on peut tenter d’apporter de la stabilité en travaillant sur un socle sécuritaire pour contrebalancer l’axe libertaire dominant.
Propos recueillis par André Burgdorfer
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