Des jeunes la plébiscitent si elle reste privée et respectueuse
Le sexting, c’est intime, partager, c’est harceler. C’est en ces termes que Yara Berrense-Dias, aujourd’hui Responsable du Groupe de recherche sur la santé des adolescents au Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté) à Lausanne, clôturait la présentation de sa thèse intitulée Le sexting et les adolescent-es. On a commencé à entendre parler du sexting, ou de l’échange électronique de contenu personnel à caractère sexuel, à la suite de situations tragiques au cœur desquelles des adolescent-es avaient harcelé une camarade qui avait échangé une photo ou une vidéo intime. Yara Barrense-Dias nous livre une synthèse de sa réflexion.
Quelle incidence a eu Internet sur le rapport à l’autre sexe et la sexualité des jeunes ?
Internet a bouleversé les vies de toutes et tous, y compris celles des adultes. Le premier élément étudié scientifiquement a d’ailleurs été l’accès gratuit à la pornographie. Mes recherches ont permis de mettre en évidence qu’Internet est une ressource pour les jeunes qui cherchent à comprendre leur sexualité et une variable supplémentaire dans leur développement relationnel et sexuel, sur le plan de l’information et de l’apprentissage, de l’entrée en contact, de la communication, de la séduction, de la comparaison sociale, du test des limites. Les étapes de croissance qui caractérisent l’adolescence n’ont pas fondamentalement changé, mais cette phase transitoire s’accompagne désormais de nouvelles technologies qui vont perdurer. Anonyme et accessible 24/7, Internet est aussi un support d’information pour des minorités de genre ou sexuelles qui y trouvent des communautés partageant leurs préoccupations.
Quels sont les enjeux liés à la pratique du sexting par les jeunes ?
J’identifie quatre grands risques. Premièrement, la pression exercée en amont pour obtenir le consentement. Le sexting pourrait être demandé par un tiers ou être le résultat d’un effet de groupe, voire même d’une incitation sociale, par exemple un passage obligé pour séduire son ou sa partenaire. Deuxièmement, la diffusion sans consentement à un réseau plus large de personnes que celles initialement d’accord. Troisièmement, la réception de contenus à caractère sexuel non sollicités comme les dick pics, ou de se retrouver contre son gré parmi les destinataires d’un partage de contenu non consenti. Quatrièmement, les réactions au sexting par les pairs qui peuvent être très violentes à l’égard de l’adolescente ou l’adolescent impliqué, allant jusqu’au harcèlement et à l’exclusion.
Comment définir le consentement dans le contexte du sexting à l’adolescence ?
C’est particulièrement important d’aborder ce sujet. Certain-es jeunes ont de la peine à considérer que le consentement demandé dans la vie réelle devrait être envisagé de la même manière dans la vie virtuelle. Un accord explicite est attendu pour entrer dans une relation intime, il devrait également l’être pour l’échange de contenu virtuel à caractère sexuel. Or les jeunes ne se sentent souvent pas légitimes à exprimer leur avis, par peur d’être quitté-es ou d’avoir l’air ringard-es. Et lorsqu’un-e jeune partage du contenu intime, c’est la confiance qui devrait prévaloir dans cet échange, plutôt que le risque d’être jugé-e de façon malveillante. Renverser la situation est dommageable pour les relations humaines. C’est un peu comme si on faisait porter la responsabilité à une femme portant une mini-jupe de prendre le risque de se faire violer. Je déplore que plusieurs campagnes de prévention aient choisi cette voie et incitant à l’abstinence pour éviter les dérives du sexting.
Quelles dérives percevez-vous ?
Une des dérives possibles est le harcèlement, mais nous ne l’avons pas chiffré. Nous avons par contre observé que le partage de contenu intime pouvait être influencé par de l’intimidation ou des réactions de groupe faisant penser à du harcèlement. La moitié des jeunes de treize-quatorze ans interrogé-es dans notre étude avait partagé un contenu sans consentement pour rire ou pour faire rire. Le constat est similaire dans l’enquête nationale sur les jeunes adultes (24-26 ans). Très peu de jeunes ont par contre rapporté l’avoir fait par vengeance, bien que les médias parlent beaucoup de revenge porn. Ce terme parapluie est fréquemment utilisé de manière abusive et ne prend pas en compte la palette d’émotions qui motivent les comportements des adolescentes et adolescents. On peut cependant relever un manque de conscience sur le contenu partagé, voire une forme d’insouciance par rapport à la responsabilité engagée.
Comment prévenir et protéger les jeunes des dérives du sexting ?
Jusque-là, ce sont des messages d’abstinence qui ont essentiellement été adressés aux victimes potentielles pour les inciter à ne pas envoyer de contenu à caractère sexuel les concernant. Cette approche n’a cependant pas démontré son efficience et un nouveau courant défend le partage de safer sexting qui consiste à éviter de montrer son visage, des signes distinctifs ou son domicile dans le but de prévenir les dérives plutôt que la pratique. Il ne s’agit pas de déresponsabiliser les victimes potentielles ; on doit continuer à sensibiliser sur la question du consentement et à faire connaître la loi ainsi que les risques encourus. Je regrette cependant que la prévention ne s’applique pas également aux auteur-es des violences, à celles et ceux qui font pression pour obtenir ce genre de contenu, qui partage sans consentement ainsi qu’aux témoins ou aux groupes qui se retournent contre l’émettrice ou l’émetteur initial du message. Les cours d’éducation sexuelle effleurent le sujet sans avoir le temps d’approfondir la pratique. Pour l’heure, Internet est une ressource importante pour comprendre le sujet et échanger sur les bonnes pratiques. Les adultes doivent aussi être sensibilisé-es à ces usages et à ces enjeux afin de pouvoir mener un dialogue sans jugement ou moralisation et agir comme ressources en cas de problèmes.
Propos recueillis par Joanna Vanay
Lexique
Nude : photo ou vidéo de soi partiellement ou totalement dénudé-e ou dans une position suggestive
Sexting : envoi volontaire de messages textes, photos ou vidéo suggestifs ou à caractère sexuel.
Dick pic : réception d’une image de pénis, généralement en érection et souvent non-sollicitée d’une personne connue ou non.
Safer sexting : envoi volontaire et plus sûr de messages textes, photos ou vidéo suggestifs ou à caractère sexuel
Sextorsion : extorsion d’argent après récupération de photographie ou de vidéo à caractère sexuel
Revenge porn : contenu à caractère sexuel partagé sans l’accord de la personne dans un but de vengeance.
Grooming : pression émotionnelle sur un enfant/mineur dans le but d’en abuser ou de l’exploiter sexuellement
Trouver plus d’informations
CIAO : ciao.ch
On t’écoute : ontecoute.ch
Action Innocence : actioninnocence.org
Projet miroir : prevention-ecrans.ch/miroir-prestations
Non au harcèlement : https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement
Netz courage : (D) https://netzcourage.ch/
Graphiques
Écho n° 68/Le harcèlement, un phénomène qui nous met en cause !
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Écho n° 66/La gestion des écrans, thématique inépuisable
Écho n° 65/Genre masculin, qui suis-je en 2022
Écho n° 64/Réflexion sur la masculinité
Écho n° 63/Face à une situation d’abus sexuel
Écho n° 62/20 ans du Foyer filles, partage d’expériences
Écho n° 61/Justice traditionnelle et/ou restaurative
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