La justice restaurative ne bénéficie pas encore d’un cadre législatif

La médiation restauratrice est un outil complémentaire à la justice traditionnelle, utilisé largement dans de nombreux pays européens.

En Suisse, des projets pilotes de médiation carcérale sont actuellement menés dans plusieurs cantons, notamment grâce à l’action de l’AJURES ou du Forum suisse de la justice restaurative. L’approche demeure encore méconnue et manque de cadre législatif. Cette situation pourrait changer grâce au postulat déposé en juin 2019 par la conseillère aux États Lisa Mazzone (Vert·e·s/GE) pour inscrire la justice restaurative dans la législation suisse. Nous l’avons rencontrée pour faire un point de situation et tenter de comprendre la réserve de la Suisse sur ce sujet.
Image

Lisa Mazzone, comment en êtes-vous venue à défendre l’approche de la justice restaurative ?
Je fais partie d’une commission qui s’occupe du droit pénal et j’ai remarqué la tendance, au niveau politique, à vouloir durcir les peines. J’ai ressenti alors la nécessité de trouver des alternatives pour atteindre les objectifs de la justice qui sont la réinsertion des personnes et la réduction des récidives. J’ai aussi découvert le travail d’Anne-Catherine Menétrey sur la justice restaurative, qui n’est aujourd’hui pas inscrite dans la procédure pénale.


Comment expliquez-vous les réticences quant à cette justice réparatrice en Suisse ?
Ces réticences sont d’ordre politique : il existe une certaine crainte, une méfiance d’une approche plus magnanime, plus humaine dans le système judiciaire. « Pourquoi faire preuve de bienveillance avec des gens qui ne le méritent pas ? » entend-on. Certains préjugés demeurent sur une justice qui doit montrer l’exemple, qui doit frapper fort, une justice basée sur un esprit de vengeance. Il y a peu d’ouverture sur la perspective des auteur·trice·s de délit. En ce qui concerne les mineurs, la médiation pénale est inscrite dans la loi depuis 2007. L’approche pour les mineurs est cependant différente, plus axée sur la réinsertion, car on est plus enclin à donner une seconde chance à un jeune qu’à un adulte. De manière générale, en Suisse, la justice restaurative est méconnue. Lors des procédures pénales, on établit des faits, on punit pour régler des comptes. C’est un match entre l’État et l’auteur·trice de l’infraction qui n’est pas responsabilisé et au cours duquel la victime n’a pas d’espace d’expression de sa souffrance. La justice restaurative aide à comprendre, à avancer, à ne plus avoir peur, et à ne plus se définir qu’au travers du tort ou du traumatisme subi.

Le pénitencier de Lenzburg teste cette approche depuis trois ans. La Suisse allemande semble faire preuve d’une plus grande ouverture… Pourquoi ?
C’est difficile à expliquer. Je pense que cela dépend beaucoup des gens en place, de la sensibilité des direc-teurs et responsables de prisons et de l’environnement carcéral. Dans certains cantons, comme à Genève, le milieu est en surcharge ; c’est plus compliqué de mettre en place ces initiatives, car elles demandent du temps. Paradoxalement, elles aideraient pourtant à diminuer les récidives. L’impulsion vient souvent du terrain, car les personnes en charge des prisons ont un lien différent avec les prisonnier·ère·s, une relation plus directe. Le canton de Vaud expérimente actuellement le concept, cela donnera probablement des idées à d’autres.

Le débat parlementaire pour inscrire dans la loi des processus restauratifs a toutefois démarré ?
Le postulat a en effet été accepté et le timing est bon, car le Code de procédure pénale est actuellement en révision. La commission des affaires juridiques du Conseil national vient de se déclarer en faveur de l’introduction, dans notre Code, de la justice restaurative comme outil supplémentaire. C’est un signal très positif. L’idée est de mettre cet outil à disposition de tous ceux et celles qui en ressentent le besoin. L’information de son existence doit être systématisée, surtout auprès des victimes. Après, cet instrument ne peut et ne doit être déployé qu’avec l’accord des deux parties, l’auteur du délit et la victime. On ne peut forcer personne à l’utiliser.

Faut-il vraiment une loi pour régir la médiation restaurative ?
Pour autoriser et répandre l’utilisation de la justice restaurative en Suisse, elle doit être inscrite dans le code de procédure pénale. Cela permettrait de mettre en place cette démarche durant la procédure, et les autorités pénales pourraient la recommander aux parties. Le processus ne doit avoir lieu que sur une base volontaire, toutefois.

Propos recueillis par Joanna Vanay