Dossier: Troubles du comportement et médication
À l’adolescence rien n’est encore figé. Comment éviter que les souffrances des jeunes atteints de troubles psychiques conduisent à la rupture, à l’exclusion scolaire, familiale ou sociale? Outre un traitement médical et thérapeutique, les professionnels de la santé préconisent dans certaines situations une prise en charge éducative.
Cette approche amène les professionnels de la santé et ceux des institutions éducatives à collaborer pour aider ces jeunes à sortir de leur mal-être.
« Mon enfant n’arrête pas de pleurer. Je ne sais plus quoi faire ! Il faut l’aider » : Ces paroles résonnent de plus en plus dans les couloirs des hôpitaux et dans les cabinets médicaux, témoigne le Dr Calogero Morreale, chef de clinique de pédopsychiatrie à l’Hôpital du Valais et responsable de psychiatrie de liaison.
Derrière les sanglots, les larmes, les mouchoirs, la tristesse, le désespoir ou encore la colère des adolescents, il y a l’impuissance des parents face aux chagrins d’amour de leurs progénitures. Face aux souffrances affectives, scolaires ou encore familiales, les professionnels de la santé sont de plus en plus sollicités pour les soigner: « L’hôpital est devenu un lieu central de réponse », a constaté le docteur, en ajoutant que ce phénomène s’explique d’une part par l’augmentation des familles monoparentales, et d’autre part, parce que les parents ne supportent plus de voir souffrir leurs enfants. Non seulement ils refusent que ces derniers soient confrontés à la tristesse, mais ils désirent aussi le meilleur pour eux. « Les douleurs émotionnelles, comme le chagrin, la colère ou la peur font partie du processus de développement de l’enfant » affirme le Dr Calogero Morreale. « À chaque enfant son histoire. Les parents veulent trop bien faire, alors ils n’hésitent plus à toquer à la porte des psychiatres. Dans notre société moderne, aller chez le psy n’est plus un tabou. Les psys s’expriment partout: à la télé, à la radio... Ils sont très médiatisés ». Dans son activité, le pédopsychiatre observe que le recours à ces experts ne traduit pas une augmentation du nombre d’adolescents souffrant de troubles psychiques, mais résulte d’une aggravation des symptômes, tels que les troubles dépressifs et suicidaires, de conduite et les comportements obsessionnels compulsifs, alimentaires. De plus, ces derniers apparaissent de plus en plus tôt, durant l’enfance. Le rapport de l’Observatoire cantonal valaisan publié en mars dernier conclut qu’un jeune sur cinq souffre à un moment d’une maladie psychique. Cela représente environ 1’200 jeunes du Vieux-Pays.
Prise en charge
En Valais, les enfants et les adolescents atteints dans leur santé psychique sont hospitalisés à l’unité pédopsychiatrique de Sierre, dotée de dix lits. Quand la demande dépasse l’offre, ils sont pris en charge dans d’autres structures, notamment à l’hôpital de Sion (service pédiatrie) ou à l’hôpital psychiatrique de Malévoz. Dans ce système de prise en charge médical, des adolescents en situation d’échec, de conflit, de rupture et d’addictions, n’ont pas forcément leur place. Les « incasables », c’est ainsi que les professionnels de la santé les nomment parfois. Ils sont une « population à la limite des institutions », dont les caractéristiques et les besoins spécifiques relèvent, en général, d’une prise en charge multiple : sociale, sanitaire, médicale ou judiciaire… Le Dr Morreale l’admet : « En combinant les soins éducatifs et les soins médicaux, nous sommes plus performants. Meilleures seront les chances de guérison pour le jeune. Les enfants ont non seulement besoin d’affection, mais aussi d’un cadre et de rigueur. »
Collaboration multidisciplinaire
Le mélange des approches médicales et éducatives nécessite de travailler en réseau, de créer des partenariats entre tous les acteurs de soins et du social. De quoi l’enfant a-t-il besoin, en ce moment, pour bien grandir, se développer? C’est en répondant à cette question « centrale» que les professionnels de la santé et la famille déterminent le traitement thérapeutique. « Le traitement et la prise en charge ne sont pas figés. Ils vont évoluer au cours du temps et en fonction du développement de l’enfant et de ses besoins. L’institution éducative va servir de relais entre la famille et l’école lorsque la collaboration n’est pas suffisante pour aider un enfant à bien grandir. Quand les résultats ne donnent pas satisfaction, le traitement médical est appelé à prendre le relais » explique le chef de clinique. Les médicaments permettent de soulager les patients atteints de troubles anxieux, compulsifs ou alimentaires. Prescrits pour soigner, ils ont néanmoins mauvaise réputation. « Ils ne sont prescrits que si les conditions l’exigent, et dans le seul but de faire diminuer les symptômes et d’améliorer la qualité de l’existence », assure le Dr Moreale. Dans ses services à l’hôpital du Valais, ce dernier n’a pas constaté une augmentation de la médication, mais une évolution dans la prise en charge.
Regroupement des structures médicales et éducatives sous un même toit
« Il y a une limite financière et politique; avoir une institution ayant les deux pôles coûte cher. Des structures se mettent en place, mais ce sont des cas rares. L’accent a plutôt été mis sur le renforcement de la collaboration entre le médical et l’éducatif, collaboration qui était inimaginable il y a encore quelques années » répond André Burgdorfer, directeur de La Fontanelle. Le Dr Calogero Morreale rajoute : « Dans la gestion d’une structure, c’est difficile de pouvoir assurer quotidiennement aussi bien une présence médicale qu’éducative ». « Le mélange des problématiques est sensible et il peut être risqué. En raison de sa fragilité, le jeune en rupture est moins tolérant, notamment vis-à-vis d’adolescents ayant des « réactions bizarres » comme ils disent, provoquées par leurs troubles psychiques. C’est pourquoi nous ne prenons pas en charge des jeunes qui ont des troubles psychiques avérés et qui ont besoin d’un suivi médical régulier. Par contre, nous accompagnons souvent des jeunes situés dans une zone grise, entre le médical et l’éducatif. Dans ce contexte, nous collaborons régulièrement avec le chef de clinique pour aborder les cas critiques, ce qui permet une excellente anticipation des crises » explique André Burgdorfer.
Éviter un diagnostic stigmatisant
« Par le passé, la société tolérait la souffrance d’un enfant. Or, elle la considère comme inutile aujourd’hui » précise le pédopsychiatre. Reste que les préjugés entourant la maladie mentale sont bel et bien présents. Pour s’en éloigner, les médecins ne posent pas de diagnostic sur un enfant jusqu’à l’âge de 18 ans, car celui-ci va sans doute évoluer pendant sa période d’adolescent. Le secret médical sert ainsi à protéger l’enfant, à ne pas nuire à son avenir. Autrement dit à favoriser son développement, sa formation et son autonomie. Cette omerta sur la maladie décidée d’un commun accord avec les parents et l’enfant n’empêche pas pour autant le travail des éducateurs. « Nous modifions nos agissements pour tenter de l’amener au changement désiré. Souvent plus facile à dire qu’à faire » souligne André Burgdorfer, directeur de La Fontanelle. « Mais tant que nous restons dans cette vision, nous maintenons l’espoir d’un changement possible. Lorsqu’un diagnostic est posé, nous courrons le risque de perdre espoir et de ne compter que sur des médicaments ou des méthodes médicales qui peuvent être stigmatisantes pour le jeune. Ainsi, il est nécessaire d’avoir les bonnes informations pour gérer tous les risques que nous pourrions avoir avec une personne fragile psychiquement. »
Samantha Medley