Aussi vite que possible, aussi lentement que nécessaire!
Cette année, La Fontanelle a proposé de s’intéresser à la masculinité contemporaine, à travers un premier numéro de l’Écho et surtout une conférence donnée en octobre dernier. En choisissant d’aborder cette thématique, nous avons pris le risque de polariser les positions existantes. Quelques-uns nous ont questionnés sur l’intérêt d’ouvrir un débat qui n’a fait que renforcer les incertitudes, d’autres ont estimé que les propos tenus sont restés trop timides et n’ont pas pris en compte les vrais enjeux.
Durant l’année, le sujet a été travaillé dans des ateliers au Foyer Garçons. Nous avions déjà vu ces extrêmes se manifester et les débats ont été très animés. Personnellement, j’ai ressenti de la honte lorsque nous avons visionné les discours machistes d’avant les années 1970. En 2022, nous croyons avoir résolu cette question, mais c’est un leurre. Dans bien des circonstances, l’homme a appris à adapter ses messages et à adopter un comportement acceptable, mais il continue à cultiver une posture dominante dans son intériorité. Si l’adulte a généralement su ajuster la partie visible de ses comportements, c’est moins vrai chez le jeune garçon qui a peu de filtres. Il est encore soumis à de nombreuses influences paradoxales, notamment sur les réseaux sociaux, les jeux vidéo ou les divertissements télévisuels.
Nous l’observons régulièrement, le jeune d’aujourd’hui est encore coincé dans des stéréotypes d’homme fort, qui n’est pas autorisé à reconnaitre une fragilité, un trauma subi, au risque d’être moqué. Lorsqu’une fille l’exprime, elle reçoit le soutien et l’affection de ses pairs alors que le garçon qui l’extériorise est dénigré et exclu de son groupe. Nous relevons parfois des progrès chez les jeunes bien entourés, mais chez les plus fragiles, nous constatons les mouvements inverses de repli sur soi, de renforcement d’appartenance à des clans radicalisés dans des stéréotypes. Des progrès sont indéniablement à faire.
Le chemin à prendre est cependant très complexe, car ces adolescents ont besoin d’un accompagnement normatif pour les sortir des marécages dans lesquels ils sont enlisés, faute d’encadrement éducatif clair. On devrait d’ailleurs se rappeler plus souvent que les enfants et les jeunes n’ont pas la capacité de tout décider et que, pour leur santé mentale, il est nécessaire que l’adulte assume une partie des choix, même si ce n’est pas tendance. Notre conférencier, Emilio Pitarelli, nous a proposé quelques pistes intéressantes pour entamer une mutation en profondeur sur la question des genres, que vous trouverez résumée dans les pages suivantes. La vidéo de la conférence et la table ronde avec les jeunes animée par Isabelle Moncada peut aussi être visualisée sur notre site Internet. Je vous souhaite une bonne lecture!
André Burgdorfer, Directeur
Éditorial paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, décembre 2022

Retour sur la conférence annuelle
Pour sa conférence annuelle, La Fontanelle a choisi d’approfondir les questions relatives à l’identité du genre masculin, constatant que le modèle traditionnel ne répond plus à l’évolution de la société. Cela fait quasiment une quarantaine d’années que l’homme se cherche, qu’il est en perte de repères. Le pater familias, incarnant l’autorité, travaillant à l’extérieur, jouant un rôle bien défini n’est plus. Qui est-il alors? La Fontanelle a invité Emilio Pitarelli, professeur HES, psychologue, sociologue et conseiller conjugal, à partager son appréciation de la situation lors d’une conférence qui a eu lieu le 6 octobre dernier.
La majorité des hommes ne remettent pas en question la légitimé des revendications féminines demandant à s’émanciper et à ce que leurs droits soient respectés. Cela implique cependant une profonde remise en question de leur propre rôle. Première observation d’Emilio Pitarelli : on ne change pas une telle situation d’un revers de main. Il est nécessaire de se laisser le temps de cheminer pour créer de nouveaux jalons, dans une société qui aspire à une réalisation de soi plus éclectique. Cette temporisation peut sembler paradoxale dans une époque où tout doit aller vite, mais elle est inévitable.
La deuxième observation d’Emilio Pitarelli touche à la façon d’appréhender la question de la différence et de l’égalité. Être égaux est-il équivalent à être pareils ? Qui sommes-nous en fait ? Un homme, une femme, un père, un mari, un grand-père… Les humains se caractérisent les uns par rapport aux autres à travers les rôles qu’ils investissent. Cela forme l’identité sociale de l’individu. Je suis Italien, je suis directeur, je suis musicien, je suis papa… et j’appartiens au groupe de celles et ceux qui sont comme moi. En même temps, chacune et chacun a le besoin de se distinguer des membres de la communauté à laquelle elle et il s’identifie ; cela la ou le met continuellement en tension. Un des risques importants de ce fonctionnement est d’entrer en compétition avec les individus ou le groupe dont on se distingue, et de construire le sentiment qu’on lui est supérieur ou inférieur. C’est ce qui s’est passé entre les hommes et les femmes.
Homme, femme, blanc, noir, petit, grand, jeune, vieux… on a besoin de catégoriser pour comprendre et s’adapter au monde dans lequel on évolue. Sauf que la catégorisation favorise le stéréotype qui lui-même conduit au préjugé. Emilio Pitarelli prend pour exemple l’idée répandue que la femme n’a pas le sens de l’orientation. Or plusieurs études ont montré que cette compétence ne s’acquiert qu’en se déplaçant dans différents espaces. Ce n’est donc pas le sexe qui a occasionné le déficit d’orientation, mais le rôle de mère et de maitresse de maison associé à une certaine sédentarité. Très répandus, les préjugés constituent de véritables menaces pour le développement au sens où ils conditionnent certains groupes à se socialiser et à se comporter de la manière attendue. On pourrait se demander si la catégorisation homme-femme continue à être d’actualité et dans quel domaine.
Chercheuse valaisanne et spécialiste des questions de genre, Caroline Dayer propose de s’intéresser aux trois facettes qui forment l’identité de genre. La première est l’expression de genre, c’est-à-dire comment chacune et chacun s’affiche devant les autres. Par exemple, suis-je forcément une fille si je porte des cheveux longs, suis-je à coup sûr un garçon si je suis bodybuildé ? La deuxième est la question des rôles, soit comment chacune et chacun joue le rôle choisi ou qui lui est assigné ? Qu’attend-on de moi en tant qu’homme ? Par exemple suis-je vraiment un homme lorsque je repasse du linge ? La troisième dimension touche au ressenti intérieur. A-t-on la sensation d’être plutôt un homme, une femme ou quelqu’un d’autre. Un malaise plus ou moins important peut provenir d’antagonismes entre ce qu’on affiche, le rôle qu’on tient et ce qu’on ressent.
On entretient aussi l’illusion que l’humain est cohérent, fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait. En réalité, l’identité est multiple et mouvante. On n’est jamais la même personne à quinze, trente, cinquante ou nonante ans. Et si on s’observe à un moment T, on constate aussi que l’identité est flottante, entre ce qu’on pense de soi, ce qu‘on fait, ce qu’on dit, ce que les autres en pensent et voient, etc. Plusieurs facettes identitaires coexistent et évoluent constamment.
Un psychiatre suisse, C.G. Jung, a beaucoup travaillé sur la personnalité. Il a élaboré une théorie selon laquelle l’identité de l’être humain comprendrait plusieurs couches. La première, exposée à toutes et tous, est la Persona. Elle désigne la partie affichée de la personnalité, celle qui organise le rapport de l’individu à la société et qui montre ce qui est acceptable. Elle se construit au fil des expériences, qui apprennent à l’individu ce qui est attendu sur le plan de son comportement. La deuxième couche est formée par la partie consciente du psychisme, appelée le Moi. Dans sa perspective, C.G. Jung affirme que le Moi contient une part de féminin et une part de masculin qu’il nomme bisexualité psychique. La troisième est constituée par la partie refoulée par souci d’adaptation, l’Ombre. Ce qui ne peut pas être montré va tout de même ressortir vers l’extérieur lors de conflits, de guerres, mais aussi de auchemars. Enfin, la quatrième couche est le centre de l’identité profonde, le Soi. C’est ce que nous sommes vraiment. Au final, notre quête consiste à trouver et devenir Soi. C’est un processus lent qui prend généralement au moins une quarantaine d’années.
Finalement, continuer à se distinguer à travers le genre n’est peut-être plus adapté aux besoins de notre société. Il serait préférable de se concentrer sur les étapes qui permettent de devenir Soi sans pour autant ignorer le besoin d’appartenance, qui pourrait se réaliser à travers d’autres valeurs ou passe-temps que le genre.
Compte-rendu de Anne Kleiner
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, décembre 2022
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Conférencier
ÉMILIANO PITARELLI, formé en sociologie et psychologie, thérapeute de couple
Dans le cadre de sa pratique, Emilio Pitarelli a eu l’occasion de s’intéresser aux transformations et aux pressions qui s’exercent sur l’homme du 21e siècle. S’il constate qu’elles bousculent l’identité masculine tant sur le plan sociologique que psychologique, il relève la nécessité de permettre l’individuation, un processus fondamental pour exister par soi-même et pour soi-même.
Formé en sociologie et en psychologie, Emilio Pitarelli est maître d’enseignements à la HES et formateur d’adultes auprès de diverses institutions comme Pro Senectute, l’OSEO, la Nasca ou la Fédération des Ludothèques suisses. Il travaille également comme conseiller conjugal et thérapeute de couple en cabinet indépendant.
Observe-t-on une évolution de la sexualité suite au changement des rôles
Rencontre de Patrizia Anex, Psychothérapeute et sexologue. Elle aime accompagner les êtres humains qui s'interrogent ou souffrent dans leurs relations amoureuses, affectives et sexuelles.
Quelle est l’influence de l’émancipation des femmes sur la sexualité des jeunes garçons?
La majorité des jeunes hommes sont soucieux de respecter leurs partenaires et ne veulent pas avoir de rapport sans leur consentement. Mais ils ne savent pas comment l’obtenir et se sentent souvent démunis lors de démarches de séduction, car ils ont appris des comportements de dominant qui ne sont plus en phase avec leur époque.
Comment le bouleversement des rôles et des statuts entre les genres entre-t-il en ligne de compte dans la démarche de séduction des jeunes garçons?
Les jeunes, garçons et filles, doivent apprendre à verbaliser leurs sensations et découvrir comment l’exprimer pour s’assurer qu’elles sont partagées. Ce bouleversement ne touche pas que les garçons, mais aussi les filles qui ne savent pas formuler ce qu’elles ressentent. Ils et elles se trouvent en terrain vierge, et explorent comment dire « est-ce que tu as envie que je t’embrasse ? ». L’effet de groupe joue aussi un rôle important à cet âge, et rend cette transformation encore plus difficile.
Quels changements observez-vous chez les jeunes couples en lien avec la valorisation de modèles masculins non dominants?
On observe que la pratique se transforme chez les jeunes, qui préfèrent s’adonner à une sexualité non pénétrative faite de caresses sexuelles. Le passage à l’acte de pénétration est retardé, car il demande d’avoir de l’assurance, voire du courage, qui leur fait défaut dans un contexte de hashtags metoo et d’angoisse de la performance résultant de comparaisons aux prouesses du porno. Le fait de ne pas savoir comment s’assurer du consentement du ou de la partenaire ajoute de la difficulté.
Propos recueillis par Anne Kleiner
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, décembre 2022

Deviens qui tu es
Comment se construire hors du stéréotype masculin viril, puissant et dominant ? Une partie de la réponse consiste certainement à passer par une masculinité plurielle. Il s’agit de modifier certains paradigmes pour entrer dans un processus de changement. Emilio Pitarelli trace quelques pistes afin que chacune et chacun puisse devenir actrice et acteur de cette transformation. Dans ce processus, il s’agit de rester en équilibre en identifiant son seuil d’intolérance et de se respecter. Car nous nous caractérisons à travers notre voyage plus que par la destination.
Entrer dans une démarche d’individuation
Le processus d’individuation consiste à devenir soi. Plus vite dit que fait. Théoriquement, cette démarche veut que l’individu sache différencier ce qui constitue la partie qu’on souhaite montrer aux autres, «l’apparence» pourrait-on dire, cette partie publique, affichée de sa personnalité (nommée la Persona par C.G. Jung), la partie intérieure ou privée (nommée le Moi par C.G. Jung) et la partie refoulée qui lui permet de s’adapter à son environnement (nommée Ombre par C.G. Jung). La démarche prend du temps. Elle permet cependant de prendre conscience de la différence entre l’image renvoyée aux autres versus son monde intérieur, ceci afin de se rapprocher de son être véritable. Cela renvoie aux dimensions multiples du genre, aux rôles attendus en fonction de notre appartenance visible au masculin ou au féminin, et à l’identité, autrement dit qui nous sommes au plus profond de nous-mêmes. Le genre perd alors de son importance. Ce long exercice amène à cultiver la différence, mais il s’agit d’éviter le piège d’entrer en compétition et de chercher à être meilleur que l’autre, l’objectif étant de s’individuer. Réussir à intégrer les différentes facettes permet de s’accepter sans toutefois projeter nos ombres sur les autres, ce qui favorise l’acceptation d’autrui également.
Se raconter pour se définir soi-même
Un autre moyen consiste à faire le récit de qui l’on est, comment on se ressent et de quelle façon on se voit. Cela nous redonne la force d’agir sur notre vie plutôt que de laisser à l’autre le pouvoir de nous définir. Emilio Pitarelli appelle cela l’autonormie, c’est-à-dire définir nos propres normes, notre propre chemin. Dans l’interaction, cette approche pousse à l’empathie en invitant à s’intéresser réellement à l’autre, en le-la laissant se raconter, se définir au-delà des stéréotypes.
Cultiver la psycho-diversité
Aujourd’hui, on valorise la biodiversité en incitant à planter varié, à mélanger. On peut faire de même avec les individus. La proposition est de faire valoir la psycho-diversité et la socio-diversité car c’est ce qui rend vivant. Un groupe fonctionne bien lorsqu’il est fait de timides, de bavards, de rigolos, d’introvertis, etc. Cultiver la diversité dans les aspects psychologiques et sociologiques peut contribuer au développement d’une masculinité plurielle.
Définir des buts communs
Une pluralité de masculins peut effrayer à moins que les gens soient mis en contact dans toute leur diversité. Car on sait que plus on se confronte à l’autre différent, plus on l’accepte, comme cela a été démontré par plusieurs votations en Suisse. Les cantons villes sont plutôt bienveillants à l’égard des cultures étrangères alors que les cantons campagnes moins soumis à la diversité y sont plutôt opposés. La rencontre permet d’être rassuré, de découvrir l’être humain, ce qu’il a d’intéressant.
Croiser nos appartenances
Plutôt que de parler d’homme ou de femme, la proposition est aussi de concentrer son attention sur ce qui réunit. Car lorsque les buts sont partagés, la différence devient moins importante et elle sert parfois même à mieux atteindre l’objectif. L’exemple des mineurs américains est éloquent. Dans la mine, les travailleurs blancs et noirs travaillaient en bonne harmonie, réunis par la même finalité, alors qu’à cette époque, l’hostilité entre ces groupes était à son comble dans le pays. En croisant nos appartenances, on intègre la pluralité des êtres humains, la richesse des mélanges et on va se retrouver sur des intérêts ou des valeurs fondamentales.
En conclusion, la vision binaire - noir ou blanc, toi ou moi, juste ou faux - fonctionne bien en mathématique, mais pas avec l’être humain. Pourtant elle influence souvent nos appréciations, alors que les gens sont à la fois intelligents et stupides, sympathiques et antipathiques, masculins et féminins, charmants et désobligeants. Enrichissons le champ des possibles en cherchant à éviter de couler l’homme dans un moule et en favorisant le développement d’une masculinité plurielle.
Anne Kleiner
Article paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, décembre 2022
Le père modèle en question
Être père aujourd’hui renvoie à de multiples réalités. Entre le père au foyer et le père absent, entre le père autoritaire et le père sensible, il y a mille manières d’habiter ce rôle. Les attentes de la société ont changé, ce qui a redéfini l’identité des pères. Parfois perdus entre des injonctions paradoxales - être là, mais pas trop, jouer avec ses enfants, mais de manière différente des mères, incarner l’autorité, mais de manière souple, voire douce - les pères se cherchent, comme tout le monde au final. Devenir père s’apprend, au contact de l’enfant et du ou de la partenaire si elle-il est présent. Il s’agit de trouver un équilibre entre les normes sociales, qui disent ce qu’il convient de faire, et la manière propre à chacun d’être père. Le rôle s’accompagne forcément de tensions entre le modèle vers lequel on aimerait tendre et les figures paternelles qui ont marqué notre vécu, influençant notre mode relationnel, parfois malgré nous.
Point de vue de Emilio Pitarelli, psychologue, sociologue et thérapeute de couple

Ateliers, film d'animation et table ronde
Lorsque le thème de la masculinité a été choisi au printemps 2022, je me suis trouvé face à la feuille blanche. Nous voulions associer à notre réflexion les garçons accueillis au foyer, mais comment s’y prendre pour les intéresser ? Le statut de l’homme contemporain n’est pas forcément simple à vivre ou à assumer. Son rôle et sa place sont difficiles à cerner. Il n’y a pas – ou plus – de mission claire, mais plutôt une palette de possibilités. Les jeunes subissent des pressions multiples et contradictoires tout au long de leur quête identitaire. Il s’agit de composer avec le poids de la norme et les stéréotypes de genre, la pression des pairs, la loyauté vis-à-vis du modèle familial ou encore avec des modèles qui les inspirent, à travers la culture et les médias au sens large. De plus, à l’heure des hashtags #metoo ou #balancetonporc, l’homme d’aujourd’hui peut être réduit au statut d’agresseur potentiel et la femme cantonnée au rôle de victime. Dès lors, comment interagir sereinement ?
La Fontanelle a souhaité aborder ce thème d’actualité brûlant et fort avec et pour les adolescents. Durant quelques mois, ce sujet a été au centre de nos réflexions et a généré plusieurs projets, dans le but de leur offrir un espace d’expression et de réflexion. Trois ateliers ont été mis sur pied, dont les thèmes ont été choisis par les jeunes : le premier portait sur les stéréotypes de genre, le second sur la représentation de l’homme dans les médias et le troisième sur les interactions hommes/femmes. Ils ont été suivis par la création d’un film d’animation réalisé par les jeunes pour résumer leur réflexion. Celui-ci a été présenté lors de la conférence « Genre masculin, qui suis-je en 2022 » qui clôtura cette aventure inédite à la Fontanelle. Les jeunes ont pu, à cette occasion, prendre part au débat animé par Isabelle Moncada, journaliste à la RTS !
Le premier atelier qui portait sur les stéréotypes de genre a permis aux jeunes de prendre conscience de l’injonction de la norme et des conséquences sur leur vie.
Naël* l’exprime à sa manière : « ce qui pose problème, c’est que, sans même s’en rendre compte, on est enfermé dans des stéréotypes ou des préjugés. Tout ça nous limite dans notre communication entre êtres humains. Je pense aussi qu’il faut s’intéresser à la personne que nous avons en face de nous, la questionner afin de comprendre sa réalité avant d’enfermer les gens dans des cases ».
Bertrand*, qui a participé à l’entier de la démarche, rajoute : «Pour moi, les stéréotypes de genre, c’est tout ce qu’on peut penser des gens avec pour seule base, leur genre. Par exemple, les hommes sont forts et les femmes plus faibles. Ou encore, les hommes sont durs et les femmes sensibles. Ces clichés sont très présents. Les gens qui ne s’y accordent pas peuvent subir des jugements et des moqueries. Cela crée souvent une pression, qui inconsciemment, nous pousse à nous conformer à la norme et à entretenir ces stéréotypes ».
Bien que n’ayant pas participé aux ateliers et fraichement arrivé à la Fontanelle, Patrick*, au terme de la conférence, tient à exprimer son opinion : « Au sujet des stéréotypes, ce que je retiens de la conférence, c’est que dans la vie, tu auras beau jouer un rôle ou essayer de paraître quelqu’un aux yeux des autres, ces personnes trouveront toujours à dire du mal ou auront des préjugés sur toi. Il est important de rester soi-même pour sa paix intérieure, sinon on est constamment en manque de confiance et sous pression. Je comprends aussi que les stéréotypes peuvent avoir des conséquences malsaines ou dramatiques et peuvent blesser profondément les gens. Ces derniers peuvent engendrer par exemple du harcèlement ou encore du racisme. »
Youssef*, parmi le public lors de la conférence, partage sa vision éclairée des stéréotypes. « Je pense qu’au foyer garçon, puisque nous sommes momentanément en groupe restreint et vivons en marge de la vie « à l’extérieur », nous avons tendance à banaliser et prendre à la légère les stéréotypes. Pourtant, il me semble important de se réunir autour de ces questions, sans violence verbale et encore moins physique afin, en quelque sorte, d’améliorer l’humanité ».
Le 2e atelier traitait de la représentation de l’homme dans les médias et la culture.
Bertrand*, décidément perspicace, exprime un point de vue très clair sur la question. « La représentation de l’homme dans les médias est bien loin de ce que nous sommes en réalité. Tous les hommes ne sont pas « Schwarznegger » ou encore « The Rock ». Loin de là. Malgré tout, ce sont deux acteurs extrêmement connus et très présents dans la culture, que ce soit au cinéma ou sur les réseaux sociaux. On entend souvent : « ça, ce sont de vrais hommes ! ». Ce qui nous ramène une nouvelle fois aux stéréotypes de genre. Le problème c’est lorsque ces figures masculines parfaites sont érigées en tant que modèles, beaucoup de jeunes hommes complexent… Car ils ne voient plus que ça sur les réseaux et ne correspondent pas forcément à ce modèle ».
Naël* tient à nouveau à nous donner son point de vue, cette fois-ci sur la représentation de l’homme et les relations hommes/femmes. « Je pense que la représentation de l’homme que j’avais dans mon enfance est en train de se déconstruire gentiment. Les courants de pensée évoluent progressivement sur l’idée du modèle masculin, selon les générations, les cultures ou encore les religions. Les relations hommes-femmes sont changent, elles aussi. La liberté est revendiquée de part et d’autre. De plus, la plupart des personnes de ma génération sont plutôt d’avis que l’homme et la femme doivent être considérés sur un pied d’égalité ».
En ce qui concerne l’expérience vécue durant la conférence, les jeunes, encore une fois, sont généreux dans leur propos, parlent « vrai » et avec profondeur.
Naël* raconte avec enthousiasme sa vision de l’expérience de la scène : « Je suis heureux d’avoir pu vivre un moment aussi intense ! C’était inédit ! Mais ça « foutait » quand même une sacrée pression ! On m’a permis de m’exprimer sur un sujet si vaste que j’aurais pu m’y perdre ! ».
Kevin*, qui a participé à un atelier et vécu la conférence parmi le public nous partage sa vision : « Tout ça m’a beaucoup plu, déjà parce que cela changeait de la routine. Les ateliers et la conférence, ce n’est pas quelque chose qu’on fait tout le temps ! Ce thème m’a beaucoup touché, car je me suis senti évidemment concerné. Je remarque que je me développe avec une certaine pression constante sur comment je dois paraître, comment je dois faire, ou encore comment je dois penser. On en parle au foyer parce qu’on est tous concernés, les uns comme les autres. J’ajoute que j’ai vécu uniquement un atelier et que j’aurais aimé tous les faire afin d’en comprendre davantage sur ce domaine, apprendre des choses, ou les voir d’un point de vue différent du mien ».
Youssef* reprend la parole. « J’aurais aimé pouvoir donner mon avis et mes réponses aux questions posées durant la conférence. J’aime les débats, c’est enrichissant et divertissant. Pour résumer, si une opportunité était à venir, que ce soit sur n’importe quel sujet, je suis partant. J’aimerais vraiment revivre ce type d’expérience, car même comme spectateur, j’y ai pris du plaisir. Alors être sur scène, cela doit être un immense kiff ! Pourquoi ? Parce que ce genre de sujet touche tout le monde, donc personne n’est « out-group » et cette idée me plait beaucoup ! ».
Nathanael* conclut: « Je ne suis pas fermé à la différence, au contraire. Cette série d’ateliers m’a ouvert les yeux. Mon ouverture d’esprit s’est élargie, j’accepte de plus en plus les différences entre les individus et moi-même. J’aimerais dire stop à la division. Gardez vos propos et jugements pour vous-même. S’il vous plait, ne me jugez pas. Je suis tout simplement qui je suis. Le renforcement personnel de l’idée : « Je suis unique » m’a été transmis. L’image que je dégage n’a plus autant d’importance qu’avant. Je me sens désormais prêt à prendre le chemin qui me correspond. Mais peut être celui-ci ne vous correspond pas… Quant à la table ronde sur la scène, je suis étonné, mais le public a été très réceptif. D’ailleurs, mes parents en faisaient partie, ce qui m’a plu ! Durant cette expérience de 2h, j’ai eu une sensation de bien-être très forte. Elle restera un très bon souvenir ! ».
Et pour moi donc, éducateur, quel souvenir ! Quelle aventure ! Quelle chance d’avoir vécu ce voyage. Les jeunes que nous accueillons sont remarquables, je suis fier de leur chemin, que j’ai eu la chance de partager, durant le placement ! Chapeau bas, chers jeunes !
Et vous, amis lecteurs et amies lectrices, qu’en pensez-vous, cet article vous a-t-il plu ? N’hésitez pas à partager vos impressions en nous adressant un mail à
Yan Cordelier
Article paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, décembre 2022
Le modèle masculin appelé à évoluer?
L’année 2021 a été marquée par le vingtième anniversaire du foyer des filles, ouvert en 2001 à Vérossaz. Pour la circonstance, La Fontanelle avait demandé à d’anciennes résidentes de raconter leurs souvenirs. Les témoignages avaient mis en évidence leur besoin de prendre du recul avec les jeux de séduction ainsi que la nécessité de mieux se positionner dans leur corps et leurs envies de femme, une démarche facilitée dans un foyer exclusivement féminin. Il en est aussi ressorti que la non-mixité avait favorisé l’émergence de souffrances cachées, liées à des violences ou des abus sexuels, malheureusement encore trop fréquents.
Récemment, dans le prolongement des revendications féministes, différents hashtags publiés sur les réseaux sociaux et dans les médias ont mis en lumière la souffrance des femmes nombreuses à être victimes de harcèlement et d’abus de pouvoir. Ces histoires pointent du doigt des hommes abuseurs, prédateurs, dominants. À y regarder de plus près, l’homme viril, affirmant sa puissance, contrôlant ses émotions, exprimant sa vigueur sexuelle, fanfaronnant sur ses conquêtes, etc. est le modèle le plus largement diffusé, que ce soit dans la littérature, la publicité ou le divertissement. L’inconscient collectif a fini par intégrer le paradigme du mâle dominant hégémonique.
Or beaucoup de femmes réclament d’être libérées de cette domination et demandent à ce que leurs droits soient respectés, un besoin compris par de plus en plus d’hommes. Mais comment le genre masculin peut-il s’adapter ou se construire autrement ? Doit-il payer le prix des agissements discriminants des générations précédentes ? Quels jalons mettre pour le guider vers une posture qui lui permette d’être plus respectueux de toutes et tous ? Le genre féminin a-t-il un rôle à jouer pour accompagner ces changements ? Autant de questions que La Fontanelle a choisi de ne plus passer sous silence. Les garçons accueillis dans nos programmes manquent en effet de repères alors que les difficultés dans lesquelles ils se trouvent nécessitent justement un cadre stable pour en sortir. Nous avons proposé d’en débattre avec l’aide de personnes aux expertises variées. Cette réflexion a bien été appréhendée par les jeunes, qui se sont ouverts à des échanges intimes et sincères. Nous vous offrons un condensé de nos explorations dans cette édition de l’Écho. Elles seront enrichies par une conférence à laquelle vous êtes toutes et tous conviés le 6 octobre. Bonne lecture et au plaisir de vous retrouver à notre rencontre annuelle.
André Burgdorfer, Directeur
Éditorial paru dans l'Écho de La Fontanelle n°64, août 2022

Quelle place et quel rôle de l’homme dans une société moderne?
L’émancipation des femmes a rebattu les cartes du jeu relationnel et bouleverse les rôles et les statuts établis depuis longtemps sur un mode patriarcal. L’homme et la femme sont désormais en concurrence dans le monde du travail, dans la vie publique ou dans l’exercice de l’autorité parentale. Il ne s’agit pas ici de faire un quelconque procès aux revendications féministes, mais de s’arrêter sur les conséquences induites par ces changements d’équilibre. Quels effets ont-ils sur l’homme moderne et de quel modèle le garçon peut-il s’inspirer?
Jusqu’à ce que ces mutations interviennent, la situation profitait globalement à la gent masculine qui bénéficiait des avantages associés à la discrimination envers les femmes, quand bien même ils n’y participaient pas personnellement. Certains ont pu ressentir la lutte des féministes comme agressante, car elle les oblige à abandonner des privilèges, les revendications visant généralement à libérer les femmes de la domination des hommes, ou à leur ouvrir le champ des possibles pour dépasser les comportements généralement assignés aux femmes et aux hommes. Plus récemment, l’ordre phallocentré a été chamboulé par le raz-de-marée provoqué par les #MeeToo, #balancetonporc et autres hashtags.
Selon Marion Coville, Maîtresse de conférence à l’université de Poitiers et spécialisée dans l’observation des interactions sociales, le genre conditionne nos rapports sociaux au quotidien, à l’école, au travail. Attribué à la naissance lors du constat du sexe du bébé, le genre n’est pas inné, mais s’apprend tout au long de la vie et est sans cesse recadré dans les interactions quotidiennes afin que l’homme comme la femme se comportent en adéquation avec les caractéristiques sociales qui leur sont assignées. Mehdi Derfoufi, professeur associé en études des genres et des médias à l’université de Paris, relève quant à lui la pression qu’exerce la médiasphère, le monde du divertissement ou de la mode sur les constructions sociales. Les jouets, l’industrie vestimentaire, les films, les jeux vidéo ou la musique, notamment le rap, valorisent en chœur les attributs associés à l’homme idéal qui doit être dominant, courageux, endurant, rationnel, sportif, bricoleur etc.
Ces constructions sociales ont un véritable impact dans nos sociétés. Elles façonnent les corps, les visages, les attitudes et viennent réduire la part de naturel dans les comportements. Le genre conditionne aussi les rapports de pouvoir puisqu’ils sont organisés selon des hiérarchies qui valorisent les attributs masculins tels que la force, la maîtrise des émotions, la pensée logique. Ils s’articulent généralement au détriment des caractéristiques intégrées par le genre féminin telles que la sensibilité, la douceur, l’empathie. Cela a entrainé de nombreuses exclusions et inégalités au fil des siècles.
La sociologue australienne, Raewyn Connell, qui fait référence pour ses publications dans le domaine, a été la première, dans les années 1995, à parler de masculinité hégémonique. Elle décrit par là une forme de masculinité auquel toute personne de genre masculin est invitée à s’identifier pour correspondre à cette manière dominante d’être un homme. Elle a complété son modèle avec trois représentations voisines que sont les masculinités complices, marginalisées et subordonnées. La forme complice participe à la masculinité hégémonique sans toutefois l’incarner pleinement ni bénéficier totalement des privilèges qui en découlent. La chercheuse décrit les hommes participant de ce type de masculinité comme admirant ou aspirant à la masculinité hégémonique. Avec la forme marginalisée, elle évoque les masculinités soumises à l’emprise de la masculinité hégémonique et qui en sont exclues du fait de certains facteurs, comme la race ou le handicap. Avec la forme subordonnée, elle caractérise les masculinités qui servent de figure repoussoir et présentent des caractéristiques opposées à celles qui sont valorisées dans le cadre de la masculinité hégémonique, dans laquelle s’inscrit l’homosexualité.
Mehdi Derfoufi s’est appuyé sur ce concept de masculinité hégémonique pour expliquer la spirale des différentes formes de violence dans laquelle le genre masculin est entrainé. Poussé à adopter – en personne ou par procuration – une posture de dominant dont il est sensé tirer avantage, l’homme est aussi constamment menacé de destitution et doit inlassablement réaffirmer sa masculinité. La lutte pour atteindre cet idéal destructeur et discriminant pour lui-même et pour le genre féminin implique aussi de fournir une performance épuisante, une compétition incessante entre tous et toutes.
Or cet ordre millénaire est bousculé par un mouvement social multiforme. Celui-ci converge toutefois dans la volonté de redéfinir les rôles des femmes par-delà les comportements qui leur sont assignés et vise à les libérer de l’oppression masculine. Les rôles masculins se voient donc reconfigurés par ces évolutions, non sans crispations et questionnements. Beaucoup d’hommes se trouvent face à un paradoxe: comment allier l’uniformisation des genres dans les actes du quotidien avec leur part de virilité? Comment renoncer aux privilèges octroyés au groupe des dominants auquel ils ont appris avoir droit?
Face à la perte de repères normatifs et aux injonctions contradictoires, certains mouvements s’organisent pour défendre l’émergence de masculinités positives, co-responsables et démocratiques. Ces différentes façons de s’affirmer homme incitent à reconnaitre les autres comme des êtres humains égaux, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes, de filles ou de garçons. Elles invitent le genre masculin à s’engager pour des sociétés égalitaires, inclusives et capables d’offrir les mêmes opportunités à toutes et tous. Elles les appellent aussi à considérer comme des avantages le fait de savoir reconnaitre ses faiblesses et d’avoir besoin d’aide, de s’intéresser à ses propres besoins en matière de santé ou encore de cultiver sa capacité à exprimer ses émotions.
André Burgdorfer, Directeur et Anne Kleiner, chargée de communication
Réflexion parue dans l'Écho de La Fontanelle n°64, août 2022
Lorsque le cadre se dérobe
Si la plupart des jeunes vont bien, les garçons accueillis à La Fontanelle sont particulièrement fragilisés par des expériences dévastatrices qui les ont amenés à se protéger derrière de solides carapaces. Alors que la société les appelle à faire des choix importants pour leur futur, ces jeunes sont comme désorientés face au manque de repères et à la multiplication des possibles. La construction de leur identité masculine est malmenée par des messages contradictoires dénonçant par exemple le harcèlement masculin des filles tout en les appelant à développer leur virilité pour séduire. Ceux qui ont subi des violences sexuelles ne parviennent pas à les extérioriser, pris au piège de normes genrées qui leur font craindre d’être stigmatisés. Généralement, ces adolescents ont besoin de stabilité pour prendre du recul sur leurs difficultés, reprendre confiance et se motiver pour un projet personnel. Dans ce contexte, les controverses autour du modèle masculin ont tendance à ajouter à leur instabilité. En effet, comment construire une image avantageuse de soi-même en l’absence d’exemple positif ?
Pour approfondir • Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Raewyn W. Connell • Racisme et jeu vidéo, Mehdi Derfoufi • Névrose psy, Alain Valterio • Masculinités positives, stratégies pour allier les hommes à l’égalité pour toutes et tous, JUPREC • Faut-il repenser le concept de masculinité hégémonique, Raewyn W. Connell, James W. Messerschmidt, Cairn Info • Déconstruire la crise de la masculinité, Pascale Molinier, Cairn Info • Politique des jeux vidéo et des loisirs numériques, Entretien avec Marion Coville, Progressistes • Comment être un homme féministe, Célia Héron, Le Temps • Un documentaire dénonce la masculinité toxique des jeux vidéo, Hortense Lasbleis, Les Nouvelles News • Ces masculinistes qui détestent les femmes, Julie Rambal, Le Temps • Les droits des femmes comme droits humains, Zehra F. Kabasakal Arat, Chronique des Nations Unies
S’affranchir du masculin pour penser le féminin et vice-versa
Construire son identité de garçon est loin d’être simple à une époque où le modèle traditionnel est questionné par la société. Face à la demande de changements, beaucoup d’hommes sont projetés au rang d’apprenants. Nous avons choisi d’ouvrir le dialogue sur le sujet avec les adolescents accueillis à La Fontanelle, avec humilité et dans le respect des points de vue. Des débats internes et plusieurs ateliers animés par des spécialistes externes ont été organisés durant une période de quatre mois. Nous vous livrons ici quelques témoignages des jeunes et une synthèse de la réflexion menée avec Karine Ginisty, Dr en géographie, collaboratrice scientifique et chercheuse associée.
Karine, comment vous représentez-vous le masculin à l'heure des revendications féministes?
Je me le représente difficilement pour être honnête. Les revendications féministes actuelles plaident pour différentes manières de repenser l'identité, le rôle et la place de la femme dans nos sociétés. (écoféminisme, féminisme radical, transféminisme, féminisme décolonial, etc). La posture qui me semble la plus prometteuse est celle du transféminisme car elle appelle à la non binarité. Je partage cette position de s’affranchir du masculin pour penser le féminin et vice-versa. Il s’agit de se définir sans s’inscrire en opposition à l’autre genre, de vivre sa vie d’individu ou de groupe sans produire un quelconque rapport social à l’autre sexe afin de sortir d'un binarisme qui ne fait qu'entretenir les mécanismes sociaux produisant des stéréotypes et des rôles de genre. Ceux-ci génèrent de la souffrance aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
Quel modèle masculin peut encore inspirer les jeunes garçons ?
Le masculin est l'affaire de toutes et tous, et j'espère que les jeunes garçons peuvent se sentir libre aujourd'hui, à l'heure des réseaux sociaux, d'avoir des modèles qui leur parlent, les inspirent pour réaliser leurs rêves, leur ouvrent des horizons porteurs, et non les enferment dans des rôles de genre, qui n'existent parfois que dans les jeux vidéo ou dans les imaginaires collectifs.
Votre expertise est venue enrichir la réflexion menée avec les jeunes : si vous deviez partager un ingrédient, quel serait-il ?
L'ingrédient clé – me semble t-il – est de ne pas réduire les personnes qui nous entourent à leur sexe: qu'est-ce que cela nous apporte finalement ? Il s’agit de s’interroger sur la contribution des jugements normatifs concernant les hommes et les femmes au quotidien. Si on se pose honnêtement cette question, on voit qu'elle nous apporte peu de réponses pour comprendre le monde qui nous entoure et peu d'outils pour être épanoui dans nos interactions sociales.
Propos reccueillis par Yan Cordelier
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, août 2022
Témoignages recueillis par Joanna Vanay
Parus dans l'Écho de La Fontanelle n°64, août 2022
* prénoms fictifs
Ayden, 19 ans
J’ai eu des modèles d’hommes, par exemple Tom Cruise, dans Mission Impossible, c’est un homme qui gère tout à la dernière minute, et qui y arrive. Maintenant, je suis plutôt à prendre le meilleur, ou le positif, de chaque homme.
Ça m’arrive de me sentir obligé d’agir d’une certaine façon parce que je suis un homme. Ça me pèse, mais je gère.
Maximilien, 17 ans
Je n’ai pas de pression par rapport au fait que je suis un homme, je fais comme bon me semble.
Je vois bien qu’il y a des stéréotypes, mais l’important, c’est que ça me plaise. Je n’aime pas suivre la « logique ».
Mais selon les contextes, je ne me sens pas libre d’être l’homme que j’aimerais être : professionnellement, non, il faut être raisonnable, c’est la règle de politesse. Le reste du temps, il faut rester dans certaines limites… raisonnables.
La plupart des hommes se sentent perdu
Construire son identité de garçon est loin d’être simple à une époque où le modèle traditionnel est questionné par la société. Face à la demande de changements, beaucoup d’hommes sont projetés au rang d’apprenants. Nous avons choisi d’ouvrir le dialogue sur le sujet avec les adolescents accueillis à La Fontanelle, avec humilité et dans le respect des points de vue. Des débats internes et plusieurs ateliers animés par des spécialistes externes ont été organisés durant une période de quatre mois. Nous vous livrons ici quelques témoignages des jeunes et une synthèse de la réflexion menée avec Frédéric Favre, réalisateur et responsable de projets culturels.
Frédéric, comment vous représentez-vous le masculin à l'heure des revendications féministes ?
Avant toute chose, j’ai eu envie de dire à ces jeunes qu’à titre personnel, je suis perdu sur ces questions de genre, sur ce qu’on attend de moi en tant qu’homme. Dois-je agir ou pas ? Ai-je encore le droit de séduire au risque d’être vu comme un agresseur ? Ai-je le devoir d'être galant envers la gent féminine, au risque qu’on me fasse grief de les inférioriser ? Dois-je être un père ferme tout en étant très présent à la maison ?
Nous avons donc essayé de mettre un peu d’ordre ensemble dans toutes ces questions au cours d’un atelier de réflexion et d’écriture. Il s’est agi de mieux comprendre la construction de l’identité pour se libérer des déterminismes psycho-sociologiques à l’aide de la philosophie, de l'analyse d’images et de l’écriture créative. Au-delà des critères biologiques, également remis en question aujourd’hui, la question du genre semble être en redéfinition permanente. Le masculin se détermine de plus en plus en fonction du féminin et vice-versa. L’objectif n’est pas de remplacer le patriarcat par une forme de matriarcat, mais par de l’égalité et de la solidarité.
Quel modèle masculin peut encore inspirer les jeunes garçons ?
La métaphysique occidentale traditionnelle s'est forgée par dichotomie, comme si toute chose n'existait que par son contraire (blanc/noir, haut/bas, corps/esprit, masculin/féminin, etc.). Cette perspective rationnelle impose une vision dualiste figée. Pourtant le monde n'est que fluidité et mouvement. Les oppositions rationnelles tranchées s'accordent mal avec cette réalité tout en nuances. Nous devons échapper à tout jugement de valeur voulant que dans une opposition, un des deux termes soit supérieur à l'autre. Sans intérieur, l'extérieur n'aurait pas de sens ; sans sujet, pas d'objet compréhensible ; sans le vide, le plein ne veut rien dire. La signification d'un terme ne se comprend qu'à partir d'un autre dont il se distingue, mais n’est jamais fixée définitivement dans une hiérarchie. Les questions d’identité passent par la culture, et à notre époque, principalement par l’image diffusée dans les médias, les réseaux sociaux ou les jeux vidéo.
Propos reccueillis par Yan Cordelier
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, août 2022
Témoignages recueillis par Joanna Vanay
Parus dans l'Écho de La Fontanelle n°64, août 2022
* prénoms fictifs
Tiago, 17 ans
Parfois, je ressens de la pression parce que je suis un homme. Il doit ne pas trop montrer sa sensibilité, il doit être fort, résistant. Ça met la pression, ces stéréotypes. On est un peu jugé là-dessus, alors que ça n’a pas vraiment de sens. J’essaie de ne pas trop y penser, d’être juste moi-même.
Je ne me sens pas toujours libre d’être l’homme que je voudrais. En secondaire, à l’école, j’étais sensible, je n’étais pas très bien vu par les autres, surtout par les autres mecs. Je l’ai caché pendant un moment, mais maintenant je l’assume mieux. Je ne peux pas plaire à tout le monde, c’est plus simple d’être moi-même, et que les autres voient qui je suis vraiment.
Je n’ai pas de personne de référence qui me vient en tête. Juste quelqu’un de respectueux, compréhensif. Certains sportifs m’énervent, parce que des médias en font des modèles, mais c’est impossible d’être comme eux. C’est con de centraliser sur un seul modèle, on est tous différents.
Je me sens parfois obligé d’agir d’une certaine façon parce que je suis un homme. Imaginons que je suis en ville avec des potes filles, je vais me sentir obligé de les défendre… Je sens qu’il y a une attente. Après, d’où vient le fait que je le ferais ? C’est une bonne question.
Léon, 16 ans
Être un homme, c’est quand même une souffrance, on ne va pas se mentir. Les délits, l’argent, les stupéfiants, ce sont des problèmes d’hommes tout ça.
J’aimerais ressembler à deux-trois rappeurs que j’admire. Ils ont une vie de rêve, j’aime leurs personnalités aussi. J’aimerais pas être homosexuel. C’est un modèle qui fâche dans ma culture, c’est pas naturel. Pour moi, être un homme, c’est ramener de l’argent, c’est normal, ce n’est pas une pression. Peut-être que je me sens des fois obligé d’être plutôt ceci, plutôt cela parce que je suis un garçon, mais je n’en ai pas vraiment conscience.
Il reste du chemin à parcourir
Construire son identité de garçon est loin d’être simple à une époque où le modèle traditionnel est questionné par la société. Face à la demande de changements, beaucoup d’hommes sont projetés au rang d’apprenants. Nous avons choisi d’ouvrir le dialogue sur le sujet avec les adolescents accueillis à La Fontanelle, avec humilité et dans le respect des points de vue. Des débats internes et plusieurs ateliers animés par des spécialistes externes ont été organisés durant une période de quatre mois. Nous vous livrons ici quelques témoignages des jeunes et une synthèse de la réflexion menée avec Gabriel Cordelier, enseignant et consultant.
Gabriel, à quels désagréments l’homme est-il confronté à l'heure des revendications féministes ?
Une des difficultés à laquelle le masculin doit faire face aujourd’hui relève, selon mes observations, d’une déferlante des #metoo, #balancetonporc et autres hashtags. Si les abus sont inacceptables et leur dénonciation absolument nécessaire, la généralisation exprimée par ces mouvements est parfaitement injustifiable. L’homme n’est pas forcément un prédateur et la femme une proie ! Mais il reste du chemin à parcourir. J’en veux pour démonstration le débat autour de la définition du viol au Conseil des États, qui doit se pencher cet été sur deux variantes, d’une part l’approche « seul un oui est un oui » et d’autre part « non c’est non ». Cette dernière solution suscite des réactions féministes – mais pas uniquement – véhémentes. Cyrielle Huguenot, responsable du droit des femmes à Amnesty Suisse le relève « Avec le non, c’est non, le Conseil des États conforte l’idée dépassée selon laquelle, dans le domaine de la sexualité, on peut se servir tant que l’autre ne dit pas non ».
Qu'est-ce qui vous a motivé à animer cet atelier ?
Le thème abordé me semble crucial, tant l’évolution sociétale actuelle est rapide et radicale. Oui, la reconnaissance des personnes se questionnant quant à leur orientation sexuelle, leur identité ou leur expression de genre est légitime. Oui, j’ai perçu de la souffrance chez certain·e·s apprenant·e·s durant mes années d’enseignement. Oui, certaines évolutions sur le plan des mentalité ont eu des vertus libératrices. Toutefois, ces bouleversements génèrent énormément de questionnements, de doutes, d’inquiétudes, voire de révolte, chez de très nombreux jeunes et moins jeunes. J’ai observé que les débats sociétaux liés à ces problématiques – le dernier épisode portait sur le mariage pour toutes et tous – donnent lieu à de violentes manifestations d’hostilité, voire de rejet.
Propos reccueillis par Yan Cordelier
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°65, août 2022
Témoignages recueillis par Joanna Vanay
Parus dans l'Écho de La Fontanelle n°64, août 2022
* prénoms fictifs
Ethan, 16 ans
Un homme parfait doit avoir un peu de tout, un côté féminin et un côté masculin -plus prononcé-, pour pouvoir tout gérer. Pour moi, un homme a des responsabilités, mais cela dépend de chacun. J’ai grandi dans les stéréotypes de genre : un homme, c’est grand, fort, ça a des muscles, ça sait gérer l’argent à la maison, ça travaille, ça protège. Mon père travaillait, ma mère était à la maison ; mon père se voit comme le pilier de la famille, le chef. Cela ne me gêne pas, mais je vois que cela change et je suis ouvert.
Je suis un garçon qui ne sait pas trop ce qu’il veut dans la vie, qui n’a pas trop d’objectifs, je ne veux pas trop d’embrouilles… Mais il y a trois ans, je n’aurais jamais dit que j’irais dans un foyer un jour. Tout n’est pas écrit.
Mon modèle, c’est un peu RK (Ryad Kartoum). J’aimerais rapper comme lui. Il a une bonne mentalité. Mais si on prend l’homme, on prend tous ses défauts aussi… Du coup je préfèrerais être plein de gens différents.
Mais je ne suis pas libre d’être l’homme que je veux. Plein de fois, on m’a demandé si j’étais gay ou trans. J’aime pas les cases, il faut être un peu des deux pour être parfait. Je ne me mets pas de pression par rapport à cela, je veux surtout être moi-même. Je me sens homme, mais je ne veux pas me plier à toutes ces règles.
Par moment, je ressens quand même la pression extérieure, mais je ne calcule pas. Au final je fais comme je veux. J’ai des réflexes plutôt féminins, comme croiser les jambes à table, c’est une habitude, pourtant je me dis parfois que je ne devrais pas le faire… Cette pression me dérange un peu, c’est pesant à la longue, mais je fais avec.
Hugo, 15 ans
C’est un peu difficile d’être un homme en 2022. Quand tu es dehors, tu as cette confrontation aux autres, tu dois être plus fort, plus arrogant, plus large que les autres pour te faire une vraie place. Je sens cette pression pour m’intégrer dans un groupe, on doit faire des choses qu’on n’a pas envie de faire. C’est comme ça depuis toujours, les hommes aiment bien se bagarrer, se mettre en danger, ils ne pensent pas aux conséquences. Mais sinon ça va, tranquille. ça m’arrive de me demander comment je serais, ou comment serait ma vie si j’étais une fille.
Être un homme, c’est être quelqu’un de chaleureux, d’amical, de social. C’est être passionné par ce qu’on fait. Un homme doit être fort pour se protéger lui-même et les autres. Physiquement, il ne doit pas être trop baraqué, ni trop barbu, être entre les deux.
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