D’abord sceptique…
«Une négociation de la sanction, ce serait trop facile!»… «Hmm.. il s’agit d’une médiation, pas d’une négociation!»… «Oui, enfin, c’est pareil ; de toute manière, faut pas être naïf non plus; si un auteur de délit fait cette démarche, c’est bien qu’il cherche à gagner quelque chose, à réduire sa peine… Et comment imaginer qu’un trauma comme un viol puisse être réparé, c’est presque inhumain de penser cela…».
Lorsque la question de la justice restaurative est arrivée à la table des discussions, l’équipe de La Fontanelle s’est d’abord montrée sceptique. Comment utiliser cet outil sans se faire danser sur le ventre? La tendance est certes à l’autorité horizontale et plus les années passent, plus nous constatons un malaise des autorités à exercer la contrainte. Notre système d’éducation laisse en effet de plus en plus de place à l’expression du ressenti, à la discussion sur le sens des exigences. Cette approche a permis à nos enfants de développer de l’ingéniosité et de l’agilité plutôt que de l’abnégation et de la soumission induite par l’autorité verticale. Cependant, pour les jeunes les plus fragiles, elle présente un risque. Après avoir été l’objet de toutes les attentions des adultes durant l’enfance, ils paniquent et se sentent trahis à l’heure de devoir faire des choix et de prendre des responsabilités. Les écouter et les sensibiliser à des droits a tendance à renforcer la forteresse de toute-puissance dans laquelle ils se sont installés.
Ce faisant, ils amènent leurs parents au bord du burn-out, épuisés à force d’essayer de satisfaire un besoin devenu inassouvissable. Il est alors ardu de les motiver à se mettre en route en direction de l’insertion dans le monde des adultes.
Et la justice restaurative dans tout ça? Encore un prétexte pour échapper à l’exercice difficile de la contrainte ou de la sanction ? Non, au contraire, c’est peut-être un bon outil pour permettre de trouver un juste milieu entre une approche trop autoritariste – celle dont on ne veut plus car elle a montré ses limites – et une éducation trop débonnaire qui ne développe pas la capacité à agir. Cette justice-là permet à la victime d’être entendue si elle le désire, et à l’auteur du délit de sortir de ses retranchements, de se décentrer et de développer de l’empathie. Oh, elle n’est pas miraculeuse et n’aboutit pas toujours, ou pas comme on aimerait! Mais étant donné le risque qu’une victime ou un auteur soit prisonnier de son statut, toutes les solutions qui peuvent les aider à s’en libérer sont à prendre en considération. La justice restaurative semble être une bonne alternative pour atteindre ce but.
Le 22 avril prochain, nous vous invitons à en savoir plus sur le sujet. Nous nous réjouissons d’ores et déjà de partager ce moment ensemble!
André Burgdorfer, Directeur
Éditorial paru dans l'Écho de La Fontanelle n°61, décembre 2020

La justice restaurative, une alternative ou un complément à la justice pénale
La justice restaurative peine à s’imposer en Suisse, alors qu’elle est inscrite dans la loi de plusieurs pays d’Europe qui y font couramment appel.
Son usage est désormais également recommandé par le Conseil de l’Europe. Mais qu’entend-on par justice restaurative ? Il s’agit de mesures qui permettent à une victime et à l’auteur·trice d’une infraction de participer activement à la résolution des répercussions provoquées par le délit. Un nombre croissant d’études démontrent l’efficacité de cette approche, notamment en ce qui concerne le rétablissement de la victime et l’arrêt de parcours de délinquance ou de criminalité.
L’idée d’une justice qui condamne les coupables et les punit pour le délit commis, notamment par l’enfermement, est encore solidement ancrée dans les esprits. L’infraction est envisagée sous l’angle d’une violation de la loi et une telle violation mérite d’être sanctionnée. En matière de justice pénale, l’État a le monopole. Lui seul est habilité, à travers les autorités désignées, à exécuter les procédures pénales prévues par la loi. À de rares exceptions près, l’auteur·trice et la victime de l’infraction ne peuvent pas intervenir activement dans la résolution du conflit ni mettre un terme à la procédure par une transaction privée.
Vengeance, punition, effet dissuasif, quel est le but réellement poursuivi par ce procédé ? Lors du dernier Congrès du groupe suisse de criminologie, d’éminents spécialistes relevaient que les politiques pénales visaient une gestion efficace des populations délinquantes, dans le but d’une société «zéro» risque. La recherche en criminologie démontre pourtant que les nouveaux programmes de réhabilitation augmentent la désistance (sortie de la délinquance et de la criminalité). Les statistiques de l’OFSP confirment également que le risque de récidives diminue lorsque les personnes sont condamnées avec sursis. Elles démontrent aussi que la condamnation à la prison n’empêche pas la récidive, celui ou celle qui a vécu l’emprisonnement présentant deux fois et demi plus de risques d’être recondamné·e.
Comment faire autrement ou que faire pour optimiser la procédure traditionnelle ? Des initiatives se mettent en place pour repenser le rôle des uns et des autres après une infraction pénale. La prise en considération de la victime est un des moteurs du changement. Car dans la procédure actuelle, elle joue un rôle tout à fait secondaire, voire est totalement absente du procès. Bien que des modifications de la loi aient été opérées pour mieux la prendre en compte, le procès ne permet guère de répondre à ses attentes et engendre généralement de nombreuses frustrations. La justice restaurative vise justement à remettre la victime au centre, par des rencontres, des médiations, des dialogues entre auteur·trice·s et victime·s.
Cette approche propose de modifier la manière de considérer le délit et de ne pas l’envisager uniquement comme une violation de la loi méritant d’être sanctionnée, mais comme un acte portant préjudice à des personnes et des relations. Il s’agit donc d’identifier les dommages issus de l’infraction afin d’amener une réparation, en impliquant activement les personnes concernées par le processus. En leur redonnant la parole, la justice restaurative cherche aussi à déclencher une démarche de responsabilisation et vise à prévenir de nouvelles infractions. Bien que son but ne soit pas le pardon ni la réconciliation, elle favorise les échanges et la compréhension mutuelle qui crée un espace pour l’expression de ces valeurs. Elle cherche à considérer les besoins de chaque partie et tente d’y répondre afin que chacun et chacune puisse se sentir « réhabilité ». Le recours à la justice restaurative peut venir soit à l’initiative des parties en conflit, soit sur proposition de représentant·e·s de la justice. Le processus peut donc se dérouler indépendamment des institutions judiciaires et intervenir en amont, en parallèle ou postérieurement à la procédure pénale.
Lors d’un processus de justice restaurative, les personnes concernées sont d’abord reçues séparément par un·e médiateur·trice qui mène les entretiens préliminaires et explique le cadre et les règles de la médiation. Il ou elle s’assure de la volonté des protagonistes à participer à la démarche et vérifie qu’un minimum de sécurité relationnelle soit présent pour permettre une rencontre constructive de la victime et de l’auteur·trice. Le ou la médiateur·trice observe aussi que le processus de médiation ne renforce pas la violence et n’entraîne pas une victimisation secondaire. L’objet du conflit est identifié et les attentes de chacun·e sont définies. Ces préliminaires terminés, le processus de médiation peut commencer. Dans un climat de respect mutuel et d’écoute, la victime et l’auteur·trice présentent leur vision respective de la situation, leurs besoins, leurs stratégies, leurs intérêts et leurs points de vue. Les échanges se déroulent dans la perspective de construire un accord réaliste et durable. Lorsque le traumatisme est encore intense, en cas de contrainte sexuelle par exemple, des médiations indirectes peuvent être mises en place pour éviter le face-à-face, au moins dans un premier temps.
Au cours de plusieurs entretiens, le ou la médiateur·trice accompagne les échanges et cherche à favoriser une meilleure compréhension de la position de chaque partie, ainsi qu’une reconnaissance réciproque. Il ou elle va aussi chercher à valoriser les compétences des intervenant·e·s afin qu’auteur·trice et victime façonnent une solution à même d’apaiser leur conflit. Le contenu de l’accord est propre aux protagonistes et peut, par exemple, avoir la forme d’une indemnisation des dommages, d’une compensation symbolique, d’un travail en faveur d’une institution, de la rédaction d’une lettre d’excuse ou d’un engagement à changer de comportement. Ils ou elles concrétisent leur accord par une convention lorsque la médiation réussit.
En Suisse, on a plus facilement recours à la médiation pénale pour les jeunes que pour les adultes. La plupart des juges des mineurs la considèrent favorablement, pour toutes sortes de situations, allant du traitement des bagarres aux infractions sur les réseaux sociaux. La proposition, généralement bien accueillie par les adolescent·e·s, est toutefois mal perçue par les parents, surtout par ceux de la victime, alors que le groupe parental joue un rôle déterminant dans la réussite du processus de justice restaurative.
Anne Kleiner
Article paru dans l'Écho de La Fontanelle n°61, décembre 2020
La justice restaurative ne bénéficie pas encore d’un cadre législatif
La médiation restauratrice est un outil complémentaire à la justice traditionnelle, utilisé largement dans de nombreux pays européens.
En Suisse, des projets pilotes de médiation carcérale sont actuellement menés dans plusieurs cantons, notamment grâce à l’action de l’AJURES ou du Forum suisse de la justice restaurative. L’approche demeure encore méconnue et manque de cadre législatif. Cette situation pourrait changer grâce au postulat déposé en juin 2019 par la conseillère aux États Lisa Mazzone (Vert·e·s/GE) pour inscrire la justice restaurative dans la législation suisse. Nous l’avons rencontrée pour faire un point de situation et tenter de comprendre la réserve de la Suisse sur ce sujet.
Lisa Mazzone, comment en êtes-vous venue à défendre l’approche de la justice restaurative?
Je fais partie d’une commission qui s’occupe du droit pénal et j’ai remarqué la tendance, au niveau politique, à vouloir durcir les peines. J’ai ressenti alors la nécessité de trouver des alternatives pour atteindre les objectifs de la justice qui sont la réinsertion des personnes et la réduction des récidives. J’ai aussi découvert le travail d’Anne-Catherine Menétrey sur la justice restaurative, qui n’est aujourd’hui pas inscrite dans la procédure pénale.
Comment expliquez-vous les réticences quant à cette justice réparatrice en Suisse?
Ces réticences sont d’ordre politique : il existe une certaine crainte, une méfiance d’une approche plus magnanime, plus humaine dans le système judiciaire. « Pourquoi faire preuve de bienveillance avec des gens qui ne le méritent pas ? » entend-on. Certains préjugés demeurent sur une justice qui doit montrer l’exemple, qui doit frapper fort, une justice basée sur un esprit de vengeance. Il y a peu d’ouverture sur la perspective des auteur·trice·s de délit. En ce qui concerne les mineurs, la médiation pénale est inscrite dans la loi depuis 2007. L’approche pour les mineurs est cependant différente, plus axée sur la réinsertion, car on est plus enclin à donner une seconde chance à un jeune qu’à un adulte. De manière générale, en Suisse, la justice restaurative est méconnue. Lors des procédures pénales, on établit des faits, on punit pour régler des comptes. C’est un match entre l’État et l’auteur·trice de l’infraction qui n’est pas responsabilisé et au cours duquel la victime n’a pas d’espace d’expression de sa souffrance. La justice restaurative aide à comprendre, à avancer, à ne plus avoir peur, et à ne plus se définir qu’au travers du tort ou du traumatisme subi.
Le pénitencier de Lenzburg teste cette approche depuis trois ans. La Suisse allemande semble faire preuve d’une plus grande ouverture… Pourquoi?
C’est difficile à expliquer. Je pense que cela dépend beaucoup des gens en place, de la sensibilité des direc-teurs et responsables de prisons et de l’environnement carcéral. Dans certains cantons, comme à Genève, le milieu est en surcharge ; c’est plus compliqué de mettre en place ces initiatives, car elles demandent du temps. Paradoxalement, elles aideraient pourtant à diminuer les récidives. L’impulsion vient souvent du terrain, car les personnes en charge des prisons ont un lien différent avec les prisonnier·ère·s, une relation plus directe. Le canton de Vaud expérimente actuellement le concept, cela donnera probablement des idées à d’autres.
Le débat parlementaire pour inscrire dans la loi des processus restauratifs a toutefois démarré?
Le postulat a en effet été accepté et le timing est bon, car le Code de procédure pénale est actuellement en révision. La commission des affaires juridiques du Conseil national vient de se déclarer en faveur de l’introduction, dans notre Code, de la justice restaurative comme outil supplémentaire. C’est un signal très positif. L’idée est de mettre cet outil à disposition de tous ceux et celles qui en ressentent le besoin. L’information de son existence doit être systématisée, surtout auprès des victimes. Après, cet instrument ne peut et ne doit être déployé qu’avec l’accord des deux parties, l’auteur du délit et la victime. On ne peut forcer personne à l’utiliser.
Faut-il vraiment une loi pour régir la médiation restaurative?
Pour autoriser et répandre l’utilisation de la justice restaurative en Suisse, elle doit être inscrite dans le code de procédure pénale. Cela permettrait de mettre en place cette démarche durant la procédure, et les autorités pénales pourraient la recommander aux parties. Le processus ne doit avoir lieu que sur une base volontaire, toutefois.
Propos recueilli par Joanna Vanay
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°61, décembre 2020
L'exemple de la Belgique
La Belgique est la figure de proue de la justice restaurative en Europe. Comment la démarche a-t-elle été instaurée dans ce pays et comment expliquer son succès? Quelques éléments de réponse avec Antonio Buonatesta, directeur de Mediante, l’association agréée pour mener des médiations restauratrices dans tous les arrondissements judiciaires francophones de Belgique.
En 1998, l’affaire Dutroux hante encore la Belgique. Un appel d’offres est alors lancé par le ministère de la justice dans l’objectif de promouvoir une démarche réparatrice au sein de la justice traditionnelle, quelle que soit la gravité des faits, afin de mieux répondre aux besoins des victimes et d’amener une meilleure prise de conscience des auteurs de délits. Un dispositif de médiation pénale existait depuis 1994, mais cette procédure était nécessairement limitée à des délits mineurs dans la mesure où elle pouvait déboucher sur une extinction des poursuites si l’auteur respectait l’accord convenu avec la victime.
C’est à Antonio Buonatesta, actif depuis plusieurs années dans la médiation restauratrice auprès des mineurs, que revient la mission de transposer cette expérience au niveau de la justice des adultes. En 2005, une phase test est menée dans les deux régions linguistiques du pays, en collaboration avec Moderator, une association sœur active en Belgique néerlandophone. Cela conduisit à une loi fédérale qui consacra la médiation restaurative comme un droit accessible à toutes les parties impactées par une infraction. «À partir de là, explique Antonio Buonatesta, un dialogue réparateur entre coupable et victime est possible tout au long de la procédure pénale dans les faits les plus graves, et cela en complément de cette procédure, et non à la place de la sanction pénale».
La démarche convainc les autorités politiques et judiciaires, mais le succès du dispositif dans le pays s’explique avant tout par le bon accueil de la part des victimes. «Le terme «médiation» se rapprochait du terme «réconciliation» dans l’esprit. Il y avait chez les victimes une méfiance, une réserve, car elles avaient l’impression que la démarche tendait à réduire ou minimiser la gravité de l’infraction, à se réconcilier avec l’auteur ou à lui permettre de se sentir mieux, moins coupable. Il était donc important d’aider les victimes à identifier leur propre intérêt à utiliser cet outil, leur montrer en quoi l’auteur du délit pouvait leur être utile dans leur propre processus de reconstruction». La qualité de l’information sur l’offre de médiation reste un élément clef de la réussite de la démarche. Le nombre de demandes de médiation croît chaque année, en particulier depuis 2014 où une Circulaire des Procureurs généraux a défini et systématisé les modalités d’information des parties prenantes à chaque stade de la procédure.
En 2016, cette compétence fédérale est transférée aux Communautés. Le service Médiante est agréé dans le cadre d’un nouveau décret qui redéfinit la mission en «Aide à la Communication entre Justiciables» dans une perspective de justice réparatrice. Cette nouvelle dénomination de la mission, sans en changer le contenu, permet par la même occasion d’éluder les réactions de méfiance et de perplexité générées par le terme de médiation.
Propos recueillis par Joanna Vanay
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°61, décembre 2020

JE NE TE VOYAIS PAS
Un film suisse qui raconte la rencontre de victimes et d’auteurs de délits, réalisé par François Kohler • A voir et à revoir • Il défend l’idée que la justice traditionnelle ne permet pas de réparer et n’évite pas de récidiver • Elle se déploie dans un décorum où l’on rejoue la scène du délit avec l’idée de la sanction plutôt que de la réparation • Décider de priver une personne de sa liberté n’est pas un geste anodin, mais une responsabilité • La justice restaurative permet la rencontre de la victime et de l’auteur·trice en vue de la résolution du conflit • Se retrouver face à sa victime fait mal, incite à reconnaître la souffrance de l’autre, défait l’image de criminel • Se retrouver face à l’auteur·trice déconstruit certains fantasmes, permet de se retrouver, de diminuer son stress • Pour resocialiser, il faut traiter les gens comme des personnes capables de faire le bien.
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°61, décembre 2020
Spécial 20 ans du foyer filles
C’est en juillet 2001 que La Fontanelle démarrait l’accueil des filles dans un foyer dédié. Pour célébrer ce vingtième anniversaire, cette édition leur est consacrée. Il n’est cependant pas tout à fait exact de dire que la prise en charge des filles a commencé à cette époque puisqu’au commencement des activités, en 1983, adolescentes et adolescents étaient acceptés. Le fait que les filles aient toujours été en minorité et les mauvaises expériences vécues en matière de mixité ont amené à renoncer au mélange des genres en 1994.
Le foyer de Mex fut réservé aux garçons et sept ans s’écoulèrent encore avant que nous nous sentions prêts à ouvrir un lieu réservé aux filles à Vérossaz. Compte tenu de la vocation romande de La Fontanelle, la direction de l’époque prit le temps de faire soigneusement le tour des services placeurs des cantons romands pour vérifier le besoin d’une telle prise en charge et confirmer l’adhésion à cet important projet. Par ailleurs, la Fondation Suisse Bellevue, spécialisée dans l’accompagnement de jeunes filles, avec notamment un foyer renommé dans le canton de St-Gall, collabora activement à cette création afin qu’une prise en charge similaire à la partie alémanique voie le jour en Suisse romande.
Vingt ans plus tard, l’existence de ce foyer est à la fois fragile et absolument nécessaire. Fragile parce qu’un placement de fille est plus rare que celui d’un garçon ; il aurait été tentant de revenir à une mixité pour en simplifier la gestion. Nous avons cependant résisté à cette facilité, car notre expérience sur le plan éducatif et les témoignages d’anciennes résidentes concordaient pour le maintien d’une solution non mixte. Absolument nécessaire, car lorsqu’une fille se sent suffisamment rassurée pour déposer ses valises, laisser tomber son armure de protection et apaiser ses envies de fuite et d’agression, une vraie relation de confiance s’établit. Un travail en profondeur peut alors commencer, dans un terrain plus sûr, pour déverrouiller en douceur les verrous du cœur et envisager pas à pas un changement de trajectoire de vie.
Être témoin d’une telle métamorphose nourrit notre engagement, même si, dans nos métiers, la persévérance et l’humilité restent de mise.
André Burgdorfer, Directeur
Éditorial paru dans l'Écho de La Fontanelle n°62, août 2021

Une approche complémentaire à la justice traditionnelle
Malgré les circonstances compliquées liées aux restrictions sanitaires, La Fontanelle est parvenue à proposer sa traditionnelle conférence annuelle. Accessible en visio uniquement, elle a réuni au SwissTech Center, Camille Perrier Depeursinge, docteure en droit, avocate et professeure en droit pénal, ainsi que Jean-Marc Knobel, médiateur FSM généraliste et pénal, autour du thème « La justice restaurative, une alternative payante ? ». Les bénéficiaires d’une médiation – Michèle, victime, et Maxime, auteur de l’agression – ont donné un ton émouvant à cette soirée édifiante.
Les témoignages après la théorie
Lors d’une médiation « il s’agit de considérer séparément le conflit et les personnes », nous explique Jean-Marc Knobel en présentant ses deux hôtes, Michèle, victime d’un vol de sac à main, et Maxime, auteur de l’agression. La médiation restaurative est un processus qui va jusqu’à la rencontre des protagonistes, ou pas, selon leur décision. Chaque personne est accueillie avec bienveillance, « par contre, on est intransigeant au sujet de l’acte malveillant, qui est un préjudice fait à la victime ». « Le mot clé de cette approche est la responsabilisation, alors que dans un processus traditionnel de rendu de la justice, les personnes sont dépossédées de leur histoire » analyse le médiateur.
Michèle raconte…
Il faisait nuit et je rejoignais ma voiture dans le parking après une longue journée de travail. J’étais fatiguée et avais hâte de rentrer. Dans la pénombre, j’ai distingué un jeune homme qui n’avait pas l’air en grande forme. J’ai roulé jusqu’à la sortie avec ma voiture et attendais que la barrière du parking se lève lorsque la portière passager s’est ouverte. J’ai vu une arme pointée sur moi et on m’a intimé l’ordre de donner mon sac.
Une médiation est proposée à Maxime
Mineur à l’heure du délit, Maxime s’est vu proposer une médiation par l’avocate commis d’office. Il a accepté de tenter la procédure. Lors de la première séance, il n’a pas ressenti de jugement de la part du médiateur et cela l’a aidé à faire le pas. Lors de la rencontre de la victime, il se sentait honteux, anxieux, mais il s’était rendu compte que son acte était nul. Et puis, les discussions avec le médiateur et sa famille lui ont donné la force d’assumer d’écouter le témoignage de sa victime. Cela l’a mis face à lui-même et à ce qu’il avait fait. Restait encore à assumer les réparations.
Retrouvez toute l’histoire de Michèle et Maxime dans la vidéo de la conférence «La justice restaurative, une alternative payante?», disponible sur www.lafontanelle.ch
Compte rendu de Anne Kleiner
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°62, août 2021
Conférencier
CAMILLE PERRIER DEPEURSINGE, docteure en droit, avocate et autrice d’une thèse sur la médiation
Docteure en droit, avocate à Lausanne et Professeure de droit pénal et modes amiables de résolution des conflits en matière pénale à l’Université de Lausanne, Camille Perrier Depeursinge est l’autrice d’une thèse sur la médiation en droit pénal suisse. C’est aux États-Unis, après avoir passé son brevet, qu’elle découvre la justice restaurative et développe son intérêt pour cette alternative à la justice rétributive telle que nous la connaissons. Dans le cadre de son doctorat, elle entre en contact avec Jean-Marc Knobel, médiateur FSM, Gérard Demierre, médiateur FSM-ASMF et André Kuhn, professeur de droit pénal, procédure pénale, criminologie et modes amiables de résolution des conflits en matière pénale à l’Université de Neuchâtel, afin de les interroger sur leur expérience et connaissance de la justice restaurative. De cette rencontre naît l’AJURES.
QUI SUIS-JE?
La formation ou l’expérience qui a marqué votre parcours?
La période où je travaillais sur ma thèse. J’ai beaucoup lu sur les besoins des victimes. Elles ont besoin de reconnaissance et d’explication et ressentent souvent une forme de culpabilité. Réalisant que ces éléments revenaient chez la plupart des victimes, j’ai décidé qu’il fallait absolument faire quelque chose pour agir dans leur intérêt.
Une passion, un hobby?
Je lis tout le temps et j’adore manger.
Je suis aussi très attachée à la nature et ai fait beaucoup de scoutisme.
Personnellement, comment résolvez-vous un conflit ?
J’aime échanger et essayer d’expliquer les raisons de mon agacement. Je déteste bouder et préfère poser cartes sur table et en discuter. Bien sûr, comme tout le monde, cela m’arrive de m’énerver.
Conférencier
JEAN-MARC KNOBEL, éducateur spécialisé et médiateur
Jean-Marc Knobel bénéficie de plus de 30 ans d’expérience dans le travail social. Après une vingtaine d’années dans le domaine de l’éducation spécialisée, il devient assistant social pour l’Office des curatelles et tutelles du Canton de Vaud, où il est responsable de mandats tutélaires. En parallèle, il suit une formation complémentaire en médiation et est aujourd’hui médiateur FSM généraliste et pénal dans le Canton de Vaud, notamment au sein du Tribunal des mineurs de Lausanne. C’est d’ailleurs par le biais de la médiation pénale qu’il arrive à la justice restaurative.
QUI SUIS-JE?
La formation ou l’expérience qui a marqué votre parcours?
Ma formation continue en médiation.
Une passion, un hobby?
La randonnée .
Personnellement, comment résolvez-vous un conflit ?
Je suis un adepte de la négociation, qui m’a permis de résoudre beaucoup de conflits. J’aime le fait que chacun fasse un bout de chemin. L’objectif, c’est de bouger les lignes. En médiation, c’est justement ce changement de perspective que je trouve miraculeux.

Un duo né il y a vingt ans
L’apparence est encore fortement soumise au dictat de la publicité, de l’industrie et de l’art. Des représentations hypersexuées et truquées finissent par positionner le corps de la femme comme un objet de désir. Ce phénomène a été singulièrement amplifié par les réseaux sociaux ces vingt dernières années et continue d’exercer une forte pression sur les adolescentes.
On le sait, l’adolescence est une période de transformation dans laquelle le jeune cherche à se connaître, à se définir physiquement et mentalement.
Qui suis-je? Qu’est-ce que j’aime? Qui sont mes amis? En quoi je me distingue de ma famille et en quoi je leur ressemble?
Parmi les facteurs de changement, l’image de soi a pris une importance prépondérante chez les jeunes, mais plus particulièrement chez les adolescentes.
L’arrivée du miroir au milieu du 19e, puis celle de la photographie à la fin du même siècle ont contribué à renforcer l’importance de l’apparence de la femme et à lui donner une valeur marchande, dans un contexte de mariages arrangés et d’allocation de dots. Bien que les mœurs aient changé et qu’il ne soit plus admis aujourd’hui de monnayer l’union de deux êtres, un énorme commerce a continué à se développer autour de l’esthétisme féminin. Exhibition du corps de la femme dans la publicité et dans la musique, industrie de la mode et des produits de beauté, chirurgie esthétique ne sont que quelques exemples de ce qui constitue des activités prospères.
Dans le cadre de sa quête de soi et de l’appropriation de son corps en transformation, l’adolescente est particulièrement soumise à cette pression et développe une compétition avec les autres filles. L’apparition des réseaux sociaux a décuplé le phénomène. On s’y met en scène, on applique des filtres qui affinent les traits ou rendent les lèvres plus pulpeuses. Le Snapchat dysmorphia comme on le nomme, participe à la construction d’une image que l’on voudrait parfaite, mais qui ne correspond pas à ce qu’elles sont. La plupart des jeunes font la différence entre ces illusions et la réalité, mais certaines se perdent dans un univers fantasmagorique et n’osent plus se confronter au monde réel.
Pour Claire Balleys, sociologue spécialiste des processus de socialisation de la communication et des médias, l’utilisation des réseaux sociaux est assez ambivalente du point de vue de la socialisation adolescente féminine: «D’un côté, elle peut renforcer la normalisation du corps et des normes de genre, avec des modèles hyper standardisés en termes de féminité. De l’autre, elles permettent des alternatives qui n’existaient pas il y a vingt ans, au temps des médias traditionnels. La télévision et les magazines de l’époque ne proposaient qu’un seul modèle: la jeune femme blanche mince et riche. Aujourd’hui, les médias sociaux sont les vecteurs de modèles beaucoup plus diversifiés. Des femmes se mettent en scène en dehors des normes sociales. La pilosité, le poids, la couleur de peau, l’identité de genre, la sexualité sont représentés de multiples manières.»
L’adolescence s’accompagne aussi de la découverte et de l’expérimentation de la sexualité. À l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, la scène des premiers émois amoureux s’est métamorphosée. Le premier baiser a cédé la place aux « prélis », comme l’appellent les jeunes. Dans son documentaire «Préliminaires» consacré au sujet, la réalisatrice française Julie Talon analyse les codes de la sexualité des adolescentes et adolescents des années 2020, à travers les témoignages et interventions de jeunes âgés entre douze à vingt-trois ans. «Le passage à l’acte sexuel, c’est un peu le diplôme de la vie sociale. On vous dit que vous n’irez pas loin professionnellement sans l’obtention du bac. C’est pareil pour la sexualité», affirme un ado de dix-neuf ans. Les jeunes racontent aussi l’injonction à parler de sexualité ouvertement pour ne pas passer pour «le choqué de la bande », les échanges de sextos pour démystifier le sexe, ou encore l’envoi de photos de soi nu·e pour « avoir confiance en soi, se faire du bien». En apparence, la parole autour du sexe semble très libérée. Si le consentement est dans les esprits, on peine encore à l’affirmer et à le faire entendre. «Dire non c’est une chose, mais comment dire non est une autre chose, beaucoup plus complexe que juste trois lettres», résume une adolescente. On apprend que certaines filles récoltent le titre de «coincée» par opposition à celui très convoité de «bonne» ou de «baisable». «C’est comme si tu étais notée tout le temps, par tout le monde», déplore une jeune femme de vingt ans. Le numérique fait entièrement partie de la culture juvénile. Selon Claire Balleys, il s’agit d’intégrer ces pratiques à la réflexion éducative et essayer de dépasser une vision réductrice de ce qu’elles représentent d’un point de vue social et identitaire.
Quelle est l’approche de La Fontanelle?
La Fontanelle accueille des adolescentes qui ont été durement impactées par des événements difficiles et ont parfois subi de graves traumatismes. «Leurs difficultés, leur découragement, voire leur désespoir ont une telle intensité qu’elles ont besoin de trouver un moyen pour s’anesthésier et les réseaux sociaux sont d’excellentes échappatoires» relève le directeur, André Burgdorfer. Après diverses tentatives de réglementation pour gérer leur utilisation, le choix a été fait de leur demander de renoncer complètement au smartphone. «Cela permet d’attirer leur attention sur leur être intérieur, leur ressenti, et de mieux travailler sur leurs souffrances.» Les jeunes témoignent souvent: «quand j’apprends la nouvelle qu’il n’y aura pas de natel au foyer, je me dis c’est quoi cet enfer, mais finalement, au bout de quelques jours, on s’habitue et on découvre le plaisir d’être en lien autrement, on s’implique plus dans les relations au sein du foyer». Globalement, le foyer est proposé comme un espace sécurisé par rapport aux jeux relationnels et aux pressions sociétales, notamment celles qui placent l’apparence comme une priorité. «Nous cherchons à encourager le travail en profondeur sur les émotions, sur la façon avec laquelle on voit le monde et sur la manière de façonner nos pensées, qui constituent finalement le préalable à nos interactions.» Pour réaliser ce travail en profondeur, il est nécessaire de sortir des sentiers battus, s’arrêter, observer, comprendre, se repositionner et agir. L’adolescence est par définition la période où l’identité est questionnée et redéfinie. «Nous souhaitons proposer un espace protégé où les questions intimes qui sont posées trouvent de vraies réponses, plutôt que celles – plus superficielles – de réseaux sociaux orchestrés par des algorithmes.»
Propos recueilli par Samantha Medley et Anne Kleiner
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°62, août 2021

Un accueil qui demeure non mixte
En 2021, La Fontanelle fêtaoit les vingt ans du foyer des filles à Vérossaz. L’institution avait alors choisi de proposer un lieu d’accueil non mixte afin d’offrir un accompagnement ajusté aux besoins et contraintes vécues par les adolescentes. Alors que de nombreux foyers en Suisse romande ont introduit la mixité durant cette période, nous sommes restés convaincus que cette proposition présente un réel intérêt pour des jeunes qui ont besoin de se repositionner dans leur féminité.
En vingt ans, l’égalité des genres a été le sujet de nombreux efforts de notre société pour donner à toutes et tous les mêmes chances de se réaliser et les progrès ont été spectaculaires dans certains domaines. En apparence, la fille et le garçon bénéficient de conditions similaires pour se développer. Mais ces dernières années ont vu apparaître de nouvelles revendications, notamment à travers la parole libérée sur les médias sociaux.
On découvre des adolescentes qui osent parler ouvertement de leur condition. Certaines s’interrogent: être femme, est-ce d’avoir mal au ventre tous les vingt-huit jours, être mal lunée pendant cinq jours, et porter des couches parce qu’on n’est pas capable de se retenir de saigner? D’autres se demandent: le simple fait d’être femme s’accompagne-t-il de la peur sourde d’être harcelée sur Internet, dans les transports en commun et au travail? Beaucoup résument : être femme, c’est supporter la charge mentale de la santé sexuelle et de la contraception. D’autres encore questionnent : ont-elles droit au désir et au plaisir, dont la satisfaction semble se poser en contradiction avec ce qu’on appelle «une fille bien», discrète et «bien sur elle»?
Les filles en difficulté accueillies à La Fontanelle ont, pour la plupart, traversé des épreuves marquantes sur le plan de leur féminité. Mettre de la distance avec leurs ennuis, identifier les causes de leur souffrance et se repositionner dans leurs besoins de femme est un travail sur soi qui est facilité par des conditions de non-mixité, telles que celles qui sont proposées au foyer de Vérossaz. Cela leur permet notamment d’éviter de développer des situations de co-dépendance ou des relations maternantes avec des garçons présents. Ces conditions favorisent aussi la rupture avec leur passé pour faire place à la reconstruction identitaire, une étape fondamentale avant l’élaboration de leur projet de vie future. Par ailleurs, la non-mixité permet aussi de mieux tenir compte du rythme biologique des filles, plus avancé que celui des garçons à cet âge.
Anne Kleiner
Paru dans l'Écho de La Fontanelle n°62, août 2021
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