Alors que Clémence* avait douze ou treize ans, elle a été séduite par un homme d’une vingtaine d’années qui l’avait repérée à la sortie de l’école. Il lui a fourni toutes sortes de drogues que Clémence* devait payer en ayant des rapports sexuels avec lui. Cet homme faisait partie d’un groupe dont les membres étaient armés et prostituait d’autres filles mineures tout en se livrant à toutes sortes de trafics illicites. Cette relation a duré près de trois ans.

À peine sortie de l’enfance et déjà piégée
J’étais à La Fontanelle quand j’en ai parlé. C’était au camp d’été. Je devais écrire mon histoire et cet homme avait occupé une grosse partie de ma vie. Je me suis rendu compte que j’avais tout mis sous le tapis. Là, ça m’est revenu, et il a fallu que j’en parle. Je ne savais pas que les adultes étaient obligés d’en faire quelque chose.

Ce que j’ai vécu avec cet homme m’a beaucoup marquée, mais j’ai banalisé parce qu’il m’avait aussi fait découvrir des choses positives. J’avais mis ça de côté, j’étais tellement jeune, tellement naïve. Quand notre relation s’est terminée, j’ai connu d’autres gens, d’autres drogues. J’étais tout le temps sous produits. La drogue ne me semblait pas être quelque chose de mal. À chaque fois que j’étais à nouveau plongée dans la réalité, je reprenais de la drogue pour ne pas devoir faire face. Privée de produits, je sentais monter comme une rage, contre moi, contre mes parents qui ne me comprenaient pas, contre la société. En révélant tout ça, j’ai vu défiler des moments douloureux et là, j’ai vraiment souffert. C’était dur. Ce gars était l’amour de ma vie, il ne pouvait pas m’amener des choses négatives. C’est plus tard, lorsque j’ai rencontré d’autres gens, découvert d’autres drogues que j’ai réalisé ce qui s’était passé. Ça m’a permis de grandir plus vite. Je n’aurais pas autant compris sur la vie, sur l’humain. Si je devais revivre cette partie de ma vie, je ne le referais pas. Mais si je pouvais changer mon passé, je ne le ferais pas non plus.

Lorsque je vous ai parlé, j’ai été hyper mal pendant un moment. Faire face était difficile. J’avais mal. C’est comme si je le trahissais, je me sentais coupable, surtout que je savais qu’il avait beaucoup de problèmes et je ne voulais pas lui en rajouter. Je pensais que pour moi, c’était du passé, et donc c’était bon. Quand j’ai su que je devais faire une déposition à la police, je n’avais pas envie. Je savais que c’était quelque chose qui allait me faire souffrir et je ne voulais pas. Finalement, le fait d’en parler m’a fait du bien. Ça a rendu la chose moins taboue. C’était comme un dénouement.

L’histoire se répète
En fin de placement, alors que je faisais un stage, je me suis à nouveau pris la tête avec une histoire. C’était avec mon chef de rayon. Je me suis dit qu’il fallait que j’en parle. J’étais à l’atelier avec une éducatrice avec laquelle j’ai toujours eu un lien fort et j’ai eu envie de lui parler, sans arrière- pensée. Je ne pensais pas vraiment à l’après.

Il faut que je reconnaisse que j’étais un peu entrée dans ce truc, j’ai joué un jeu avec lui. Vous m’avez fait réaliser que c’était grave. J’ai aussi pris conscience que ce chef de rayon prenait souvent des stagiaires, des filles très jeunes. Je ne voulais pas qu’il leur fasse ça à elles aussi. Quand je m’en suis rendu compte, ça m’a dégoûtée en fait. Et puis, il n’y avait pas de lien avec lui, c’était plus facile de le dénoncer.

Après, je m’en suis voulu. J’étais aussi en colère parce que vous avez pris rendez-vous avec la police pour le lendemain déjà et je ne voulais pas déposer plainte. J’avais l’impression que je n’étais pas prise en considération, que mes besoins n’étaient pas pris en compte.

Lorsque tu es venue m’en parler et tu m’as annoncé cette audition, j’ai regretté de vous avoir parlé. Je n’avais pas envie d’y aller en fait, mais j’ai compris que vous alliez m’y emmener. Au final, je me suis dit que je n’avais pas d’autre option, qu’il fallait que j’affronte. Finalement, je suis allée faire cette déposition. Ils ont été respectueux avec moi, à l’écoute. Je ne me suis pas sentie jugée, ils sont humbles dans leur boulot, c’est clair, c’est carré, ils te filment et c’est fini.

Je suis reconnaissante envers l’équipe aussi parce que je ne l’aurais jamais fait de mon plein gré. Après j’étais contente. J’ai vu que je pouvais vraiment compter sur vous.

Cette loi qui exige que les adultes signalent toute révélation d’abus ou de maltraitance sur mineur·e est importante. C’est hyper difficile d’en parler, mais une fois que le processus a démarré, c’est beaucoup plus facile. Les abus ne seraient pas pris en compte sinon, et les abuseurs auraient la voie libre. Même si elle est chiante, cette loi est positive.

 
Propos recueillis par Anne-Marie Cajeux
*prénom d'emprunt
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traités par l’Écho 63, le journal semestriel de La Fontanelle


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