Du karaté éducatif à La Fontanelle
Bien plus qu’un sport de combat
Noémie Kornfeld, karatéka de haut niveau pendant 20 ans et éducatrice auprès d’adolescent-es, réfléchissait depuis plusieurs mois à mettre sur pied un atelier combinant sa passion, le karaté, et son expérience en tant qu’éducatrice. L’occasion s’est présentée au Foyer Filles où un atelier karaté a été mis sur pied.
Noémie travaille depuis sept ans à la Maison d’enfants de Penthaz, un foyer vaudois accueillant des jeunes entre douze et seize ans placés principalement à cause d’absentéisme scolaire et de problèmes de comportement. Elle observe et entend les nombreux clichés liés aux jeunes placés en foyer : pas disciplinés, ne respectant pas les règles, violents, etc. « Ce côté violent, je le vois comme une carence ou une manière inadéquate de s’exprimer ». À travers cet atelier de karaté, elle espère pouvoir leur donner quelques clefs pour gérer cette violence. « Le karaté est un art martial avec un cadre et de la répétition dans le mouvement. On n’apprend pas au jeune à se battre, mais à se maitriser ».
Ayant mis un terme à sa carrière sportive durant l’été 2021, Noémie s’active depuis comme coach dans le mouvement jeunesse de son club à Neuchâtel. Le karaté « classique » qu’elle enseigne, pratiqué par les jeunes volontaires du club, demande des aménagements lorsqu’il est appliqué dans le cadre de la Fontanelle. « C’est un sport que les filles n’ont pas choisi, dans un contexte qu’elles n’ont pas voulu ».
Pour ces interventions à La Fontanelle, Noémie a adapté ses cours afin qu’ils fassent sens pour des jeunes en foyer. « Le karaté est une école de vie et il est facile de faire des parallèles avec ce qu’on vit tous les jours et notre façon de réagir aux imprévus de la vie. C’est là que je veux les amener, en passant par le karaté ». Elle garde malgré tout un cadre strict, propre au karaté qui permet aux jeunes d’être rassurées et emmenées dans cet univers. « Mes séances ne sont pas uniquement basées sur le karaté, car je garde des rituels qui me tiennent à cœur et qu’il est important de transmettre selon moi. Ensuite, j’utilise mes compétences d’éducatrice pour permettre à ces jeunes d’apprécier l’activité, mais surtout d’être actrices de ces moments »
Un sport de combat avec des filles ?
En pratiquant le karaté, Noémie a développé sa capacité à s’affirmer en tant que femme et elle tient tout particulièrement à transmettre son expérience à des jeunes filles. « Dans notre société, il y a un enjeu en lien avec notre façon de nous affirmer, de nous faire respecter et de la manière dont nous présentons au monde avec notre spécificité de femme ». De plus, les jeunes de la Fontanelle ont souvent de la difficulté à distinguer l’affirmation de soi de la violence. Le but de l’atelier n’est pas de leur apprendre à se battre ou à savoir comment taper, c’est de leur apprendre comment s’affirmer, comment oser tenir une position sans violence. L’atelier permet à ces jeunes filles d’expérimenter que cela passe d’abord par la gestion de leur langage corporel et de ce qu’il transmet.
Par cet atelier, Noémie aimerait les aider à faire des liens entre l’exercice physique du sport de combat et la violence. « J’ai adapté mes séances et les exercices afin qu’elles puissent se sentir concernées et faire le parallèle avec ce qu’elles ont pu vivre ». S’affirmer, sentir et maitriser ses émotions, tenir une position, reconnaître ce qui blesse son ego et ce qui nous blesse personnellement, tant d’éléments que Noémie n’hésite pas à relever et transférer durant ses séances. « Le karaté est un outil qui nous apprend à maitriser nos émotions, mais aussi à connaître notre corps afin d’exprimer notre force tout en gardant un contrôle ».
Quels résultats pour le moment ?
L’instabilité du groupe de filles accueillies au foyer peut parfois poser problème pour la progression dans les niveaux, mais pour le moment cela n’a pas été ressenti. « Jusqu’à maintenant, le groupe était plutôt stable et mes premières impressions sont très positives. À chaque séance il y a de belles surprises et les filles montrent de l’intérêt et de l’implication ». Noémie observe que les difficultés sont très variées en fonction de la personnalité de l’adolescente. « Certaines doivent se confronter à des difficultés physiques, comme par exemple maintenir l’effort, tandis que d’autres ont de la peine à se livrer et dire ce qu’elles ont ressenti ». Noémie adapte les exigences et son discours en fonction des filles. Au bout du compte, les jeunes semblent à chaque fois ressortir avec quelque chose en plus, que ce soit une réflexion ou un apprentissage technique.
Vous l’aurez compris, dans la vie comme dans le karaté, la force ne suffit pas, il faut aussi apprendre à respirer, à se recentrer, se détendre et comprendre ce qu’on ressent pour être efficace. Encore au programme jusqu’à la fin de l’année, l’atelier pourrait être reconduit en début d’année prochaine afin de permettre aux filles de profiter des compétences et de l’exemple féminin qu’est Noémie Kornfeld.
Sabrina* témoigne
Comment décrirais-tu l’atelier karaté ?
C’est un atelier qui change de ce qu’on fait au foyer. On apprend des techniques pour nous défendre, et on passe un bon moment, car la personne qui donne le karaté est très gentille. On fait des petits entrainements de karaté : positions, des gestes, des parcours d’entrainement, où il faut lever les jambes et taper dans des tapis. Et Noémie nous fait aussi des petites démonstrations.
En tant que fille, comment vois-tu le fait de pratiquer un sport de combat
C’est bien en vrai. À l’époque c’était trop bloqué, genre réservé aux hommes. Et là, c’est grave bien que des filles puissent pratiquer ça. Il y a des filles qui n’aiment pas danser, mais qui aiment se battre. Et pour moi, ça change. Je découvre des trucs en karaté, qu’en dehors je n’apprendrais pas. Par exemple, j’ai appris que si on part de nos hanches, on a plus de force que si on donne un coup de poing comme à la boxe, parce que ça part de notre centre de gravité. Alors que moi je pensais que c’était simple un coup de poing. Mais pas du tout. Je dois être sur mes appuis, gérer ma respiration.
Que trouves-tu de difficile ? Physiquement, mentalement ?
Les parcours ! Quand tu dois avoir du cardio, ça c’est trop compliqué. C’est plus physique, mais c’est aussi mental. Parce qu’au bout d’un moment, quand tu dois faire 4x le même parcours et que t’en peux plus, ça devient mental pour tenir. Pour moi, il n’y avait rien de facile en vrai. Le karaté tu dois savoir faire. Au début je pensais que « karaté » était égal à « boxe », genre tu te bas et c’est tout. Mais en vrai tu as des techniques, des positions, des cris, tu as trop de trucs à apprendre. Tu peux pas te dire que tu sais le faire d’un coup, tu dois répéter, répéter, répéter.
Le cadre strict du Karaté t’a dérangé ?
C’est cool, mais c’est bizarre. Tu n’es pas habitué à ce genre de trucs. Tu dois saluer, on te parle japonais alors que tu comprends rien. Mais c’est bien, on apprend un peu la réalité du karaté quoi.
Comment tu réagis quand Noémie arrive à « t’analyser » à travers les exercices de karaté ?
Ça, c’est trop bizarre. On dirait que c’est une voyante, alors que normalement tu es censée être au karaté. Elle te dit des choses qui sont impressionnantes. En un coup, elle sait qui tu es.
À moi, elle m’a dit que des trucs vrais. Mais en vrai, ça fait du bien que quelqu’un comprenne tes émotions cachées. Après, tu réfléchis à ce qu’elle t’a dit. La nuit tu cherches les liens et tu dis « mais pourquoi elle m’a dit ça ? ». Après ça dépend des gens, mais moi j’ai trouvé pourquoi j’avais été comme ça pendant longtemps, et pourquoi, je le suis toujours. Donc ça m’a éclairée sur certains points.
Tu aimerais rajouter quelque chose ?
C’est le meilleur atelier de toute ma vie. Le bois à La Fontanelle, on s’en fiche, mais au karaté, tu apprends.