Alignement des niveaux logiques

Les jeunes accueillis à La Fontanelle sont soumis à de fortes injonctions des services placeurs comme de leur entourage, les enjoignant à changer. Changer peut-être, mais comment ?

Car un comportement ne surgit pas sans raison : il résulte de l’influence combinée de l’environnement relationnel, de systèmes de valeurs et de croyances notamment. Grégory Bateson, anthropologue et fondateur de l’école systémique Palo Alto, résume ces influences dans ce qu’il appelle « les niveaux logiques ». Selon lui, chaque niveau logique doit être en cohérence pour aller vers un développement personnel harmonieux. L’alignement de ces niveaux logiques nécessite cependant un environnement protecteur, stable et clair, permettant de multiplier des expériences jusqu’à trouver une forme d’équilibre.

Or les jeunes qui arrivent à La Fontanelle sont pris dans une spirale d’échecs dont certains, certaines ne s’estiment pas être responsables, et d’autres jugent ne pas avoir la capacité d’en sortir. Face à la pression de changer se côtoient des comportements d’ajustement ou d’opposition, mais il est rare que leurs niveaux logiques soient alignés, ce qui nourrit un sentiment d’impuissance. La carapace forgée au fil du temps pour survivre à des situations complexes et douloureuses les empêche de se connecter à leur être profond. Une partie du travail d’accompagnement consiste ainsi à les aider à discerner ce qui les anime vraiment afin d’améliorer l’alignement de ces fameux niveaux logiques. Cela nécessite une extrême délicatesse, une posture de non-jugement et une tolérance assumée face aux incohérences.

Il n’est pas rare qu’une ou un jeune exprime avoir cheminé intérieurement et formule des engagements sincères, mais que ses actes peinent à traduire ses intentions. Nous devons veiller à ne pas stigmatiser ce décalage entre les propos et les comportements. Je félicite les équipes de s’évertuer à démêler le vrai du faux, d’accepter que plusieurs sensibilités, plusieurs voix s’expriment tout en continuant à mobiliser leurs propres ressources pour les amener à cet alignement indispensable.

Message extrait du rapport d’activité 2024

André Burgdorfer, Directeur

Sur les deux millions six cent mille francs requis pour le fonctionnement des deux foyers de La Fontanelle, une subvention fédérale couvre quinze pour cent des coûts, pour autant que l’institution respecte des critères stricts.

Parmi ceux-ci, au moins septante-cinq pour cent du personnel éducatif doit être diplômé d’une école supérieure ou d’une haute école spécialisée en éducation. Un encadrement minimal doit aussi être garanti, comme la présence de deux éducatrices ou éducateurs dès cinq jeunes durant les périodes de forte activité. Chaque année, un rapport chiffré est remis afin de démontrer que les exigences sont bien respectées. Tous les quatre ans, cette reconnaissance fait l’objet d’un réexamen. Cette étape a été passée avec succès en 2024 et La Fontanelle est à nouveau reconnue jusqu’en 2028 par l’Office fédéral de la justice. Nous les remercions pour cette confiance renouvelée.

Les prestations hors murs ne profitent pas de ce soutien fédéral. Vraie alternative d’accompagnement pour une partie des jeunes, nous tenons cependant à les maintenir. Pour y parvenir, nous devons travailler sur un prix de revient journalier inférieur à une journée au foyer, la facturation pour ces deux prestations étant similaires.

Au cours des dix dernières années, nos prix n’ont que faiblement augmenté. Une gestion rigoureuse des dépenses nous a permis de maintenir des tarifs comparables, voire inférieurs aux autres offres en Suisse romande qui se situent entre trois et cinq cent francs par jour, bien que nous proposions une prise en charge intensive. Ce montant peut interpeller, il est toutefois deux à trois fois plus bas qu’une prise en charge pédo-psychiatrique en milieu hospitalier, de plus en plus souvent proposée aux jeunes.

Cet équilibre financier et ces prestations reconnues et appréciées dans les différents cantons ne sont possibles que grâce à l’exceptionnel investissement des équipes et à la générosité de fidèles donateurs et donatrices. Au nom du comité, je tiens à leur adresser ma sincère gratitude.

Message extrait du rapport d’activité 2024

Jean-Didier Roch, Président

Le taux d’occupation a une nouvelle fois dépassé cent pour cent, grâce à une place supplémentaire sur les neuf déjà disponibles, que nous avons pu mettre à disposition grâce à une stabilité suffisante du groupe. Seize jeunes ont été accompagnés, dont six sont partis et six ont été admis en cours d’année au foyer. L’augmentation de la durée moyenne du placement - 1,7 an en 2024, 1,5 an en 2023, 1,1 an en 2022 et 0.87 an en 2021 – permet de travailler plus profondément sur les systémiques comportementales et d’augmenter les chances de réinsertion.

Cette situation favorable est multifactorielle. Parmi les facteurs qui ont pu peser, la réflexion menée sur notre organisation depuis 2019 nous a conduits à adopter une hiérarchie plus horizontale, donnant manifestement plus de possibilités d’agir aux éducatrices et éducateurs du terrain. La volonté de la responsable de foyer d’être plus proche des jeunes et d’animer des ateliers a également conduit à privilégier la relation aux procédures administratives, qui ont dû être optimisées. Ces changements ont laissé plus de temps pour maximiser le vivre avec et faire avec les jeunes, une philosophie chère à La Fontanelle.

Intense, le programme d’occupation est composé de différents ateliers obligatoires qui se déroulent entre 8h et 17h, fait de travail dans notre entreprise de livraison de bois de chauffage, de soutien scolaire, d’activités sportives ou encore d’art-thérapie. Nous favorisons la diversité afin qu’ils enrichissent le plus possible leur champ de compétences. Chaque trimestre, une activité spéciale appelée ‘Le Défi’ est proposée. Elle peut prendre la forme d’une course à pied, de l’ascension d’une voie difficile ou d’une randonnée à vélo. Celle qui a rencontré le plus grand succès fut la rénovation intégrale d’un espace de près de cent mètres carrés dans notre bâtiment à St-Maurice. C’est une bonne façon d’apprendre l’engagement et la persévérance nécessaire pour atteindre un but.

J’ai gagné peu à peu en assurance, en essayant, en me risquant, en m’ouvrant aussi, car j’ai appris qu’il fallait laisser les armes au sol, le bouclier aussi, ne pas être sur la défensive face à des personnes, des âmes, avec lesquelles je peux finalement avancer main dans la main.

Contenu extrait du rapport d’activité 2024

Les événements se sont succédé au foyer des filles à Vérossaz, pour le meilleur et pour le pire. Au nombre de sept en début d’année, les filles ont défilé durant le premier semestre. Sept sont entrées et treize sont sorties, dans un contexte de crises successives. Le climat de harcèlement et d’intimidation qui s’était déployé depuis l’automne 2023 fut difficile à apaiser. Ardue pour les filles, la situation fut aussi éprouvante pour l’équipe éducative qui a dû mettre toute son énergie à assurer la sécurité émotionnelle, rationnelle et physique, tout en se projetant dans ce qui pouvait être amélioré.

Tant qu’une dynamique de confiance et d’entraide ne s’installe pas au moins avec un noyau de jeunes, le travail en profondeur est compromis. Heureusement, un nouvel équilibre entre exigences et laisser-faire a pu être trouvé au cours du deuxième semestre. Rejoindre les filles là où elles en étaient et déchiffrer ce qu’elles avaient la capacité de donner a fait l’objet de plus d’attention pour finalement parvenir à créer une communauté davantage respectueuse des différences et solidaire. En 2024, ce sont vingt-cinq filles qui ont été accueillies pour une capacité de huit places. Seize ont quitté le foyer durant l’année, dont six en moins de trois mois. Quatre filles sont restées plus d’une année et ont profité du programme complet centré d’abord sur la réhabilitation sociale, puis sur la réinsertion professionnelle.

Deux grands changements ont impacté la vie au foyer. D’une part, la prise de fonction en juin de Anne Sierro, nouvelle responsable qui a succédé à Anne-Marie Cajeux, partie pour une retraite bien méritée. Madame Sierro a endossé ses responsabilités avec succès, très bien soutenue par l’équipe éducative du foyer. D’autre part la transformation de la salle à manger et du salon, inaugurée en juin également, après un an de travaux. Réussie, cette rénovation amène plus de lumière et de générosité à cet espace de vie partagée.

Vivre en communauté était difficile au début. Au foyer, tous nos actes se répercutent sur les autres. On apprend alors à se gérer et à respecter nos besoins autant que ceux des autres. Cela nous responsabilise. Vivre en groupe m’a beaucoup aidée : on crée des liens forts.

Contenu extrait du rapport d’activité 2024

La Fontanelle se sert depuis longtemps des activités hors des murs pour amener les jeunes à voir le monde autrement que par le prisme de leurs difficultés et pour créer des alliances éducatives positives. Très porteur, cet accompagnement permet d’ouvrir à un travail éducatif en profondeur et se poursuit parfois avec un placement en foyer. Il nécessite cependant de gérer les risques sécuritaires et sanitaires inhérents aux voyages et à l’itinérance. Au fil des ans, des collaboratrices et collaborateurs ont été spécialement formés pour y faire face. Si l’institution dispose aujourd’hui d’un vrai savoir-faire en la matière, elle doit constamment s’adapter à de nouvelles exigences. Cela requiert beaucoup d’agilité, rendue possible grâce à la petite taille et à l’investissement des équipes.

Dans le cadre de l’accueil en foyers, les jeunes participent à sept camps, la plupart du temps en itinérance. Cumulées, ces activités occupent trois mois par année. Des aventures éducatives, appelées Aventures/Plus, sont ouvertes à des externes, filles et garçons, deux fois l’an. En 2024, une itinérance à vélo a été organisée avec cinq jeunes au Danemark et un trekking dans le désert marocain avec six jeunes.

Certains jeunes se sentant trop effrayés à l’idée de quitter le cocon familial et de s’éloigner durant trois semaines de la Suisse, une prise en charge ambulatoire leur est proposée appelée Programme Oxygène. Totalisant une trentaine de jours, cet accompagnement est organisé sous forme de modules, entre lesquels ils et elles rentrent à leur domicile. En 2024, il a eu lieu de février à avril avec cinq jeunes, qui ont participé à des activités visant à réfléchir à la relation à soi et aux autres ainsi qu’au monde professionnel. Les parents sont associés à la démarche avec une approche systémique.

La vie communautaire est intense dans ces programmes. En cas de mixité, les jeunes sont appelés à renoncer aux relations intimes, ce qui n’est pas toujours respecté. Cette requête amène à approfondir la question du rapport à son intimité et celle, très actuelle, du consentement. Déterminer les enjeux de la mixité dans ces projets, en définir les avantages et les inconvénients reste une préoccupation. Un travail de mémoire HES consacré au sujet en 2025 devrait permettre des avancées.

Notre fils a participé à l’aventure du Népal. La décision de partir a été prise rapidement tant la rupture scolaire et familiale était importante. Après des mois de tension et de violence, l’éloignement était devenu une nécessité.

Contenu extrait du rapport d’activité 2024

D’importants changements sont intervenus dans les approches édu­catives et pédagogiques dès la seconde moitié du vingtième siècle, suite aux travaux de pédo-psychiatres tels que Jean Piaget, visant à favoriser l’épanouissement de l’enfant. L’expression « enfant roi » est apparue à cette époque pour contrecarrer l’idée prédominante d’un enfant sans désir ni paroles qu’il s‘agissait de « dresser » afin d’en faire un adulte responsable. Largement appliqué par les familles et les milieux éducatifs, le concept a eu des effets inattendus et il désigne aujourd’hui davantage une prise de pouvoir de l’enfant dans la dynamique familiale.

Le terme d’enfant-tyran lui a succédé pour décrire des situations de pression psychologique et/ou d’agressions physiques enfantines. Plus récemment le terme hikikomori est apparu, d’abord au Japon et désormais en Suisse romande, pour parler des adolescent-es et jeunes adultes qui restent confinés chez leurs parents, incapables de travailler ou d’aller à l’école pendant des mois, voire des années. La Fontanelle en accueille de plus en plus souffrant de ce syndrome.

Ce contexte fait peser une pression toujours plus grande sur les parents. Entre bienveillance et fermeté, certains éprouvent de grandes difficultés à se positionner et leurs sentiments alternent entre impuissance et épuisement. C’est pourquoi un accompagnement est systématiquement proposé aux parents des jeunes placés à La Fontanelle qui permet de travailler sur les interactions familiales. Un suivi est aussi effectué au retour à domicile par le biais de nos antennes locales.

Grâce à un soutien privé, cet appui peut être proposé depuis quelques années à des privés ou des groupes qui en font la demande. En 2024, cinquante-deux entretiens ont ainsi pu être offerts à quatorze parents romands et deux ateliers d’une demi-journée ou Mond’Ados ont été organisés pour une association de parents d’élèves à Bienne et pour les parents d’une école du secondaire à Genève.

En tant que mère, on se sent investie d’un rôle. Lorsque j’ai compris que tout me glissait entre les mains, j’ai eu l’impression d’avoir raté ma mission d’éducation. J’ai apprécié de ne pas me sentir jugée et de recevoir des clés pour sortir d’une situation compliquée.

Contenu extrait du rapport d’activité 2024